En ce début 2012, les Éditions des Ragosses présentent “Grosse déglingue” de Jean Kergrist et “Ne laisse pas la mer t’avaler” d’Alain Jégou. Dégustons le polar du premier, qui garantit un excellent moment de lecture.
Les élections approchent. Chris Ratoustra vise un nouveau mandat de maire, le cinquième. Son thème de campagne, c’est la propreté urbaine. Cet ex-vidangeur ne lésine pas sur les fonds publics et européens pour promouvoir son action. Les rues de sa ville sont-elles aussi nettes qu'il le proclame ? Pas sûr, puisqu’une dame octogénaire vient choir sur un trottoir, se cassant le fémur. À cause d’une crotte. Dommage, car Yvonne projetait un pèlerinage pédestre jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ça mérité réparation financière. L’avocat Patrick de Lergoteur se charge de faire cracher le maire, avec lequel il partage un vieux secret fâcheux. Il possède un bel atout, l’avocat: sa nièce Kat. Âgée de vingt-cinq ans, aussi ravissante que vierge, c’est une petite futée sachant tirer parti de son charme. Elle est chargée de piéger le maire, séducteur impénitent bien que marié.
Neveu de l’octogénaire Yvonne, Max Bornic exerce le métier de journaliste local. Célibataire, manquant définitivement d’ambition, il ne veut déplaire à personne. Les élucubrations préélectorales de Kat, qui figure bientôt sur les deux listes s’opposant pour les élections, lui donnent pourtant l’occasion d’offrir aux lecteurs des articles épicés. Grâce à une commande de l’Union Européenne, Max Bornic s’improvise auteur de polars. Son héros, “fallait plutôt l’imaginer en Espagnol, libertaire au grand cœur, dont le père se serait exilé sous Franco. Et voilà comment on vend cent mille exemplaires de plus, se mettant dans la poche Espagnols et anars, grands consommateurs de littérature noire.” Nul doute qu’il connaisse les bons ingrédients, l’avenir dira ce que ça vaut. Pour le moment, il doit mener des enquêtes journalistiques sur plusieurs cas peut-être criminels.
Le maire a été agressé au couteau en marge du carnaval local. Il est hospitalisé, tout comme Kat, tombée du char fleuri où elle trônait. Michou, l’employé municipal qui oublia de ramasser la crotte sur laquelle glissa Yvonne, est aussi à l’hosto. Le décès de Michou est, d’ailleurs, moins naturel qu’il y parait. Plus tard, ce sera la noyade du médecin de la clinique psychiatrique qui va poser question. Car, après un passage dans l’hôtellerie d’un monastère, la belle Kat a séjourné dans ladite clinique. Quelques secrets de famille touchant le maire se font jour, tandis que Kat joue la veuve putative d’un soldat tué en Afghanistan. Pour les municipales, la liste d’opposition et celle du syndicaliste Moïse Coulibali ont leurs chances de barrer la route au maire sortant. Entre son fonctionnement sexuel et son épouse Amanda, celui-ci connaît quelques tracas supplémentaires…
Selon le journaliste Max Bornic, pour écrire un polar “inutile de s’embarrasser de psychologie ou de description de paysages à la mords-moi-le-nœud, bonnes pour dictées de certificat d’études. De l’action ! Du suspense ! Un bon polar va droit au but. Avec un pistolet à la place du cerveau.” Jean Kergrist, l’auteur, est loin de se contenter de cette définition simpliste. Pour lui, il ne s’agit pas juste de raconter, mais de véritablement soigner l’écriture. Au besoin, il ne lésine pas sur le vocabulaire direct, par exemple crottes et excréments restant quand même de la merde. Paillardise et fornication ont toute leur place ici.
Situer une intrigue dans le contexte électoral d’une petite ville, fournit déjà l’opportunité de savoureuses caricatures. C’est dire que ça digresse et ça diverge (ou ça dit-graisse et ça dix-verges) sans répit, mais on ne s’écarte jamais du sujet. Ça égratigne pas mal aussi. Car il est bien connu que l’envers, c’est les autres cons-citoyens. Bel hommage grinçant aux dirigeants de notre monde, qu’ils ont rendu bordélique par “leur incompétence, leur imprévoyance et leur avidité.” Face à une sinistre actualité planétaire, rebondissantes péripéties et embrouilles diverses sont au rendez-vous dans cette histoire provinciale. On rit beaucoup grâce à cette noire comédie policière, délicieusement déjantée et idéalement écrite.