Ce n’est pas exactement un "nouveau" roman de Jean-Bernard Pouy, puisque cette histoire fut publiée par épisodes en 2006 dans la revue Shanghai Express. Conforme aux traditions de la Littérature populaire, “Les Compagnons du Veau d’Or” parait aujourd’hui chez Baleine.
Drano est un anarchiste parisien publiant un fanzine, “Ni Dieu Ni Maître Ni Patron”, qu’il vend sur le marché et
par abonnements. Son ami Marcel s’inquiète de la disparition d’Éva, prostituée venue de Lituanie dont il est amoureux. Elle aurait été recrutée par “des potentats plein de fric, des mecs sans foi
ni loi [régnant] sur l’économie européenne.” Une confrérie de financiers retenant une prostituée dans un manoir breton, voilà une affaire qui intéressera les lecteurs de Drano. Direction
la Bretagne, où il enquête de Guingamp à Morlaix en passant par Paimpol. Pendant ce temps, Éva s’interroge dans sa prison dorée. Être le jouet sexuel de ces huit hommes masqués de cuir rouge
n’est pas ce qui la tourmente. D’autant que majordome Igor lui offre d’agréables moments. Mais elle a assisté à une terrible scène. Prisonnier de la confrérie, un homme a été supplicié et
mortellement empalé. Étant témoin d’un meurtre, Éva craint d’être éliminée.
La victime est Jean-François Ledonnec, puissant PDG. Quand sa disparition est annoncée, ça n’attriste guère Drano : “Un patron de moins, c’était toujours bon à prendre, surtout quand c’était comme le Ledonnec un gangster en col blanc tâché par la sueur des travailleurs esclaves.” C’est le troisième dirigeant de grandes entreprises qui disparaît en peu de temps. Il faudra que Drano fouille dans ses archives au sujet de ces trois-là. Alors qu’il se trouve en gare de Morlaix, Drano repère la blonde Éva. Le majordome Igor était chargé de la supprimer. Il a préféré lui rendre la liberté, lui conseillant de retourner à Tallinn et de s’y faire oublier. Éva raconte à Drano les faits dont elle a été témoin au manoir. L’étonnante méthode moyenâgeuse utilisée pour tuer Ledonnec amène diverses hypothèses. Secte ésotérique fascisante ou groupe d’acharnés de la jungle capitalisme, ces types-là s’avèrent dangereux. Drano met Éva à l’abri.
La disparition d’un autre PDG, Le Fèvre des Arcs, doit être aussi imputée à cette mystérieuse confrérie. Le quatrième financier visé risque fort d’être Dennis Thurbank, un requin des affaires qui ne manque pas d’ennemis. Drano fait un saut à Paris, pour charger Marcel de dénicher des infos dans ses copieuses archives, et pour acquérir un pistolet anonyme. Il braque le mac d’Éva afin d’obtenir quelques renseignements supplémentaires, puis il retourne à Morlaix. La jeune femme choisit de rentrer sans attendre dans son pays balte. Drano bénéficie d’un petit coup de pouce du destin, qui lui permet de prendre Igor en filature. Après avoir situé le manoir de Pentrec, encore faut-il trouver le moyen d’affronter les membres de la confrérie…
Prix Paul Féval du Roman populaire 1996, Jean-Bernard Pouy s’inspire ici de la grande tradition feuilletoniste. Avec les personnages classiques de ce type d’intrigues : l’enquêteur qui agit pour la beauté du geste, la fragile héroïne en péril, le groupe d’énigmatiques comploteurs dans leur manoir mystérieux caché au cœur du terroir, le majordome aux airs de brute mais au grand cœur. Étant bien entendu qu’un héros anarchiste ne peut en aucun cas alerter la police avant avoir toutes les preuves. Meurtres cruels, indices incertains, courses poursuites, et dangers en tous genres font évidemment partie des ingrédients indispensables. Parmi les codes respectés, chaque fin de chapitre coupe l’action, incitant à entamer le suivant : “Éva descendit sur le quai. La première chose qu’elle vit, ce furent cinq policiers en uniformes qui, près de la sortie, regardaient sans sa direction” (Vont-ils l’arrêter ? Vous le saurez au prochain épisode). Comme les feuilletons d’autrefois, ce suspense est désormais publié en roman complet. Un vrai suspense populaire !
Voilà l’occasion d’évoquer un autre livre de Jean-Bernard Pouy, “En haut Dumas” (Eden, 2002), illustré par
Philippe Lechien. Cette histoire s’inscrit une fois encore dans la tradition du roman populaire, chère à l'auteur. Alexandre Dumas restant une des figures tutélaires de cette littérature, on peut
considérer ce texte comme un hommage à celui-ci. Avec une belle dose d’esprit anar, bien sûr. C’est dans un de ces petits bistrots de quartier, à l’ambiance bon
enfant, que nos sympathiques héros se réunissent. Leurs modestes “exploits” sont plein de saveur. Les dessins complètent fort agréablement le récit.
Le Reinitas est un bistrot de la rue Alexandre Dumas, à Paris. Trois hommes s’y donnent rendez-vous une fois par mois, le deuxième mercredi, à onze heures tapantes. Mousquetaires venus chacun de leur banlieue, Hamid, Gérard et Da Silva sont d’anciens militants éjectés de leur syndicat, jugés trop virulents. Ils sont devenus spécialistes en petites arnaques. Ensemble, ils élaborent des coups ni trop dangereux, ni contraignants, selon le triple principe : humilité, précision, inattendu. “Ça faisait trois ans qu’ils fonctionnaient ainsi. Tout roulait comme sur des roulettes, au moins aussi parfaitement huilées que les roulements à bille qu’ils fabriquaient avant, le nez dans la chaîne et les mains dans le cambouis.” Dérober des voitures de luxe sous prétexte de lutte anti-alcoolique, ou refiler deux mille CD de Léo Ferré, ils ne manquent pas d’initiatives originales.
Ce jour-là, malgré la grève, le trio est globalement ponctuel au rendez-vous. Ils apprécient ici l’ambiance familière de bistrot parisien traditionnel : “…tout ce qui fait qu’un bar est un théâtre proposant la même pièce tous les jours, à la même heure, avec les mêmes clients devenus d’imperturbables spectateurs, des vrais, ceux qui n’aiment pas que mute la mise en scène.” Le cinéphile Hamid tente toujours de séduire Margot, belle serveuse du Reinitas. Aujourd’hui, ce qui occupe les trois amis, c’est le prochain transfert des cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon. Ne sont-ils pas les fils spirituels de Monte-Cristo, menant une perpétuelle vengeance contre le haut patronat et la société actuelle ? Il faudrait mettre au point une idée symbolique, marquante et un peu rémunératrice, pour s’associer à l’évènement : “Il ne fallait pas oublier de toujours faire coïncider leur lutte avec celle, juste et permanente, contre les nantis.”
Grâce à l’Internet de Margot, le trio collecte un paquet de renseignements, sur Alexandre Dumas, sa vie, son œuvre. Quand arrive le jour J, ils sont fin prêts, déjà en action. Rien moins qu’une prise d’otage. Le PDG qu’ils séquestrent ne devrait pas sous-estimer ce trio d’amateurs. Car Dumas imagina dans ses romans plusieurs exemples de châtiments et de vengeances…