Direction le Gabon, avec les Éditions Jigal qui publient le nouveau polar de Janis Otsiemi “Le chasseur de lucioles”.
Dans la capitale gabonaise, il y a des flics consciencieux tels Boukinda et Evame, de la Direction Générale des Recherches. Et d’autres comme Koumba et Owoula, toujours prêts à accepter un bakchich pour fermer les yeux, qui fréquentent assidûment les bordels locaux. Joseph Obiang ne devait pas être un flic tellement honnête non plus, lui qui fut mêlé à la disparition d’armes à feu. On a trouvé son cadavre sur la plage du Tropicana. Boukinda et son collègue enquêtent, tout en sachant qu’ils ont peu de chance d’attraper celui qui a abattu ce Obiang.
À Libreville, il y a toutes sortes de bandes, souvent des malfrats d’occasion. C’est le cas de Marco, qui ne gagne guère sa vie en balayant les rues. Quand Bosco lui propose un braquage, avec le garagiste Tom pour complice, Marco hésite car c’est un coup préparé par Sisco. C’est un caïd douteux, que l’on surnomme Lucky Luke, l’homme qui se tire avec le pognon plus vite que son ombre. Et Sisco a été mêlé à de sales affaires, où il y a eu des morts. D’ailleurs, il se garde bien de dire d’où viennent les armes à feu qui serviront au braquage. Marco et ses amis se laissent tenter. Ils peuvent penser qu’ils ont eu raison, car il n’y a pas eu de victimes et le butin se chiffre en millions. L’opération agite quand même les polices de la ville, alors il est préférable qu’ils restent très prudents.
Des prostituées ont été martyrisées et tuées dans des chambres miteuses au motel Le Labyrinthe ou au motel La Semence. Même s’il garde un œil sur le spectaculaire braquage, c’est une enquête pour le flic véreux Koumba. Une bonne occasion de faire raquer les responsables de motels, afin de leur éviter des poursuites. De leur côté, Boukinda et Evame font bientôt le lien entre le meurtre de Obiang et le braquage fructueux. Grâce à leur ami journaliste Gaspard Mondjo, aussi bien informé que la police, ils sont sur les traces de Sisco. Au sein de la bande, la tension monte vite entre Sisco et Marco. Ce dernier sait qu’on peut retrouver leur piste à cause des armes utilisées.
L’ex-compagnon de la deuxième prostituée assassinée est vaguement suspecté. Mais, dès le troisième cas, Komba et Owoula ont compris que c’était l’œuvre d’un tueur en série. C’est la mobilisation générale dans chaque service de police. Les uns visant la bande du braquage, les autres recherchant activement celui qu’ils ont baptisé “le chasseur de lucioles”. Mais qui soupçonnerait Georges Paga ?…
Ce polar 2012 de Janis Otsiemi est encore plus corsé que les précédents. Croisant plusieurs niveaux d’intrigues, il gagne en densité. Les portraits sont affinés, eux aussi. On différencie par exemple un truand sans règles, et ses complices agissant par besoin financier. Côté flics, même présentation nuancée. Tout cela permet à l’auteur de nous raconter en finesse le contexte criminel gabonais. Et de souligner que Libreville est très cosmopolite, avec des gens venus de divers pays africains. Outre l’aspect purement policier, en témoigne la question du SIDA, c’est un roman comportant une bonne part de chronique sociale. Et puis, il y a toujours ce délicieux langage (partager la bouche d’un autre, c’est être du même avis; le bouya-bouya, ce sont les embrouilles). Ce qui ajoute une belle authenticité à l’histoire, bien sûr. Chaque chapitre est même assorti de proverbes locaux. Merci à Janis Otisemi pour ce beau voyage à Libreville !
Voilà l’occasion de rappeler que je n’ai pas attendu la récente approbation des médias (Libération, Canal+), ni celle de Michel Le Bris et d’Étonnants Voyageurs, pour chroniquer Janis Otsiemi. Dès ses débuts, son talent m’a convaincu alors que le microcosme journalistique et cultureux l’ignorait. Qu’il soit aujourd’hui mieux médiatisé est une excellente chose. Retour détaillé sur ses titres précédents…
Peau de balle (Éditions du Polar, 2007). Sur une intrigue qui a fait ses preuves, un roman qui ne manque pas d’originalité. Il utilise à la fois un vocabulaire imagé, des expressions typiques (Je vais le couteauner, Fais l’avion, une couloirdeuse ou une bouasse…) et du vieil argot français pas si désuet. Soulignons une belle fluidité narrative, rendant le récit fort entraînant. Janis Otsiemi n’oublie pas que le roman noir comporte aussi un témoignage social. Il montre de façon vivante la société gabonaise actuelle, à travers sa population, la corruption ou les magouilles très présentes, la réussite légitime de quelques-uns, la violence des interrogatoires policiers, et le poids du pouvoir à la tête du pays…
Yan, sa copine Mimi, et son ami Khalif, préparent un kidnapping très rentable. Khalif a trouvé le chauffeur dont ils ont besoin pour l’enlèvement. Plus âgé que le trio, Bello a 32 ans, dont plusieurs années passées en prison. Expérimenté, il mesure davantage les risques que ses complices amateurs. Pour Bello, ce rapt sera son dernier coup, aussi exige-t-il d’en être l’organisateur plutôt que Yan. Le trio accepte. C’est Mimi qui eût l’idée du kidnapping. Elle fut un temps l’employée de Pascal Simba, un rupin, un ouattara qui a largement les moyens de payer. Bello s’occupe de tout, afin d’être prêt au moment prévu.
C’est au cœur d’une école pour enfants de nababs que Mimi et Bello vont chercher la petite Jennifer, la fille de Pascal Simba. Le rapt aurait pu se passer en douceur. Deux surveillantes et le vigile s’interposent. Bello doit déquiller le vigile, avant de s’enfuir avec Mimi et la fillette. Ils arrivent sans encombre dans la planque de Bello... Owoula et Koumba, deux flics de la PJ, s’en occupent rapidement. La rumeur évoque un braquage au siège d’Air France, avec prise d’otage d’une gamine. “Sûr que cette version plairait bien aux autorités compétentes du bled pour camoufler l’affaire”, mais le duo de policiers mène une vraie enquête, se rendant bientôt chez le riche Simba. Que celui-ci ait une épouse légitime, une deuxième femme, une flopée de maîtresses, et pas mal d’adversaires n’explique rien. Quand les ravisseurs réclament une rançon de cinquante millions, pas question de mettre en danger sa fille en se servant de faux billets...
La vie est un sale boulot (Jigal, 2009). Janis Otsiemi adopte une intrigue confirmée : sortie de prison, casse fructueux, partage du butin, sans que la structure du récit soit pour autant linéaire. Si le vocabulaire est simple, il est encore agrémenté d’expressions locales fleuries. On s’attache vite à ce pauvre bougre de Chicano, dont le destin n’est pas guidé par la chance. Progressivement, s’installe une certaine noirceur meurtrière. L’autre élément favorable, c’est évidemment le contexte gabonais, l’auteur ne cachant pas les tares de son pays…
Chicano sort de la prison centrale du Gros-Bouquet, où il a purgé quatre ans pour un braquage. Il a été gracié par erreur alors qu’il lui restait trois années de tôle. Certes, il n’était que le chauffeur lors du casse visant un riche commerçant libanais installé ici. Mais ce Farrad fut abattu par ses complices, que Chicano n’a jamais dénoncés. Les puissants Arabes vivant au Gabon ne pardonnent pas quand on tue un des leurs. Libre, Chicano ne veut plus de coups foireux. Il n'a pas oublié son amie Mira. La jeune femme n’habite plus chez sa mère. Un gamin indique à Chicano sa nouvelle adresse. Vivant aujourd’hui avec un autre homme, Mira a perdu sa splendeur. Chicano retourne vers son quartier, où il envisage de travailler dans le petit garage de son frère aîné, Gabi.
Chicano retrouve ses anciens amis, Ozone et Lebègue, et leur nouveau complice, Petit Papa. La bande prépare un gros coup, le jour même. Vu le butin annoncé, Chicano se laisse entraîner. Habillés en soldats, ils vont s’attaquer à la Trésorerie du camp militaire de Baraka, où l’on prépare la paie de la garnison. Face à Ozone et Lebègue, armés et déterminés, le colonel Odja ne peut guère opposer de résistance. Les truands s’emparent du pactole. Au moment de faire les comptes, au lieu des cinquante millions prévus, il n’y en a que vingt. La bande a engagé des frais, réduisant le bénéfice. Ses trois membres actuels se concertent, n’ayant pas l’intention de laisser sa part à Chicano. Les policiers Koumba et Owoula ne sont ni plus efficaces, ni plus honnêtes que la moyenne des flics de Libreville. Bien que l’armée se charge d’enquêter sur le vol du camp de Baraka, Koumba ne tarde pas à comprendre ce qui s’est passé...
La bouche qui mange ne parle pas (Jigal, 2010). Nouvelle exploration fort réussie de la pègre gabonaise. Petites combines, trafics divers, arnaques éprouvées, tout est bon pour traquer le gros coup, dans un pays où l’argent se dépense vite. “Les Gabonais ne sont pas des bâtisseurs… [Ils] ont plutôt la réputation d’être des flambeurs, des canneurs, des coureurs de jupons.” Les petits voyous veulent juste glaner du fric qui sera vite claqué. Dans la police, on suit le même raisonnement, semble-t-il. Le réel talent de Janis Otsiemi se confirme. Se servant sans en abuser du vocabulaire et des expressions locales, il ajoute une saveur particulière à son récit…
Solo sort d’un séjour en prison, à cause d’une bagarre mortelle dans un bar. Spécialiste des coups tordus, il tombait pour une affaire banale. Solo a bientôt besoin d’argent. Parmi la faune de délinquants de Libreville, il peut compter sur son cousin Tito. D’ailleurs, celui-ci lui lâche sans problème une avance sur un prochain coup. Avec le paquet de fric, Solo règle ses dettes et lève une pute. Solo sera le chauffeur de l’affaire amenée par Tito. Même s’il n’est que l’exécuteur pour de mystérieux commanditaires, Youssef dirige l’opération. Ils vont kidnapper un môme, et le livrer à un marabout. Solo désapprouve ce genre d’affaires malsaines : “Trop de choses avaient changé pour lui depuis sa sortie de taule. Les gars n’avaient plus de code d’honneur. Sans coutume et patrie [sans foi, ni loi], ils avaient vendu la honte aux chiens.”
Pendant ce temps, Joe et Fred profite d’une nouvelle combine. Il s’agit de faire chanter de riches femmes mariées, piégées par des photos sexuelles. Dodo et Jimmy ont un autre bizness, le braquage. Ils s’attaquent à une agence de la Western Union, un casse sans faute. Quant à Solo, il s’acoquine avec son vieil ami Kenzo. Babette, l’amante de Kenzo, profite en ce moment des largesses d’un banquier. Un pigeon qu’il ne sera pas difficile d’attirer avec la promesse de billets miracles, apparemment une arnaque classique sans grand risques. Les policiers Koumba et Owoula trouvent toujours le moyen d’obtenir leur pourcentage, quitte à laisser courir des coupables. Puisque leur supérieur, le colonel Tchicot, leur accorde toute sa confiance, ils auraient tort de ne pas en abuser. L’enquête sur la série de meurtres d’enfants n’avance guère. Selon la rumeur, ces crimes rituels sont attribués à des politicards. Encore faut-il des preuves...
Janis Otsiémi est invité au 9e Salon du livre de Genève du 24 au 29 avril 2012, dans le cadre du Salon Africain.