Initiée par Jean-Bernard Pouy, la collection Suite Noire (aux Éditions La Branche) présente des romans courts et souriants, toujours d’une lecture très plaisante. À découvrir aujourd’hui, “Pas d’argot pour Mister Riche” de Jacques Mondoloni.
Léon est âgé de quinze ans. Il préfère qu’on l’appelle Rodrigue. Ses parents sont divorcés. Son jeune frère vit avec leur
mégère de mère. Léon habite à Orsay, avec son père Étienne. Ce dernier exerce le curieux métier de collecteur
d’argot. Pour les dictionnaires spécialisés des Éditions du Hauban, son père traque le vocable original, l’authentique formulation argotique, l’expression imagée. Léon suit les travaux paternels,
y trouvant comme lui un certain plaisir.
Cette passion, c’est aussi ce qui a accéléré le naufrage du mariage d’Étienne : pour un recueil consacré aux mots de la prostitution, il avait abusé des turpitudes sexuelles hors du couple.
Aujourd’hui, l’éditeur fait pression sur Étienne pour qu’il termine le dernier ouvrage au plus vite, en trouvant un maximum de citations relatives à l’argot. Séparation, pression, deux raisons
expliquant le drame qui se produit.
En effet, Léon intervient alors que son père est sur le point de se suicider. Sous le choc, même si sa blessure est légère, Étienne s’enferme dans un profond mutisme. Mesurant les conséquences, Léon estime qu’il doit prendre en charge la situation. Se barricadant dans leur maison, il interdit l’accès à sa mère. Son frère, il n’a rien contre lui, mais il ne peut se laisser attendrir. Même lorsque sa mère revient, bien décidée à forcer l’entrée, Léon résiste. Il y a aussi l’aspect scolaire du problème, depuis qu’il sèche les cours. On le prévient que l’assistante sociale va déclencher une procédure dès le lendemain. Il est temps de faire appel à un ami de son père, son mécène protecteur. Léon contacte ce Mister Riche, qui arrive bientôt. Dans l’urgence, l’homme décide d’un départ rapide. Ils voyagent de nuit, pour une destination qu’ignore encore Léon.
Leur équipée se termine dans le Sud, en bord de mer, du côté de Ramatuelle. Mister Riche les héberge au Centre. À vrai dire, l’adolescent se demande s’ils n’ont pas été piégés, s’ils ne sont pas plutôt séquestrés dans cette sorte de maison de repos. Entre “le Cagoulé”, pas très rassurant, et “le Tristounet”, un suicidaire qui se soigne avec du Fernand Raynaud à haute dose, l’ambiance n’est pas vraiment agréable pour un jeune de son âge. Tout de même, il vit une heureuse expérience avec Lisa. Par-dessus tout, Léon voudrait bien connaître le véritable lien entre son père et Mister Riche…
Ce court roman comporte deux thèmes. D’abord, l’amour du langage, du mot, à travers la quête érudite d’Étienne. “…Il juge
plaisant, et salubre, de pratiquer la collecte des mots hors d’usage, de les peser au retour de la cueillette, de se les mettre en bouche en guise d’apéritif avant le dîner […] Plus que tout, il
préférait arpenter le terrain, boire le sirop de la rue, camper devant le zinc, trinquer avec quelques trognes au parler imagé dans un tripot, son oreille à l’affût du vocable.” Saine passion que
d’aimer le vocabulaire, fut-il désuet ou d’un argot vieillot.
L’autre sujet, c’est l’histoire initiatique de l’adolescent face à ses responsabilités. Le moment de la prise de conscience, qu’il doit se comporter “en adulte” ou, plus exactement, protéger ses
proches, défendre son entourage. Devenir “le père ou la mère de ses parents” reste sans doute l’acte le plus difficile d’une vie. L’auteur traite ces thèmes avec une grande part
d’humour.