Il semble bien qu’un “esprit polar” en provenance du Québec apporte une vigueur nouvelle à cette littérature populaire. En rassemblant une génération d’auteurs actuel, la collection “Coups de tête” (également disponible en France) nous présente une excitante tonalité rock’n’roll, inventive et noire. Il serait dommage de ne pas s’intéresser à ces titres plutôt innovants. D’autant que cet automne 2010 sera riche en nouveautés pour “Coups de tête”. Rencontre avec Michel Vézina, le créateur et responsable de cette collection, lui-même auteur.
Michel Vézina, un rapide survol de votre parcours ?
Enfance à Rimouski, petite ville de l’Est du Québec possédant une grande tradition littéraire. S’y déroule le plus ancien salon du livre du Québec.
Études en cinéma, en littérature, en philosophie et en histoire de l’art, à Rimouski et à Montréal. Là, je découverte la mouvance punk : j’entre en réaction totale contre le hippisme en court à l’époque. Je développe une répugnance (non-justifiée, mais faudra que jeunesse se fasse!) envers la littérature francophone et québécoise de l’époque. Je découvre les auteurs américains. Quelques auteurs antillais, principalement Césaire et Jacques Roumain.
Longue période sex and drugs and rock’n roll. Séjours fréquents à New York, découverte hallucinée de la scène poétique américaine du début et du milieu des années 80 : Les poètes du Lower East Side, le spoken word, les bars de nuit où se côtoient poètes et putes, transsexuels et travestis.
Puis la France et “Bérurier Noir”, de 87 à 89… Road manager, un peu clown, beaucoup de dérision et de désespoir. Affirmation politique de plus en plus libertaire.
Retour au Québec en 1991. Aller simple vers l’écriture, le théâtre et le cirque : le cinéma est devenu trop commercial, trop cloisonné, trop impossible. Fassbinder est mort, presque plus rien n’est alors possible… Et puis Casavetes… Années 90 sous le signe du cirque, du théâtre de rue, des voyages et jeux forains : entre l’Amérique et l’Europe, la vie dans une caravane et l’écriture à tous les jours. Publication d’un premier recueil de nouvelles en 1991, republié en 1993 : Acid Run, Éditions de l’Incertain, Paris.
Puis 2000 et la quarantaine. Pour un vieux punk, ça fait bizarre : on ne devait pas se rendre là. Une fois arrivé, que faire? Mourir? Non, pas encore. Plus qu’une chose possible, donc : écrire. Journaliste pour gagner ma croute : Le Mouton Noir puis le ICI Montréal. Chroniqueur littéraire, critique (Le Libraire, CIBL, Radio-Canada, montrealexpress.ca)…
Enfin, un premier roman, en 2005 : Asphalte et Vodka (Québec-Amérique). Suivront Élise en 2007, puis La machine à orgueil (Québec-Amérique) en 2008, puis Sur les rives, en 2009, et enfin, Zones 5, cet automne.
À quelle époque et dans quelles circonstances avez-vous créé la collection Coups de tête ?
En 2006, mon maître es-chroniques littéraires se fait virer du journal où je travaille. Je décide de suivre, par solidarité. Mais j’ai 46 ans et plus de boulot fixe. Un ami éditeur, propriétaire des “400 coups”, me demande si j’ai déjà envisagé faire de l’édition. Il me met au défi de lui soumettre une idée.
“Coups de tête” est né dans un flash la nuit suivante, probablement un peu saoul. Je me demandais depuis des années comment le rock et la littérature pouvaient se retrouver sans que ça sonne comme Manchette ou Eudeline.
C’est aussi simple que ça. Les premiers titres sont parus en mai 2007, et bientôt, nous publierons notre quarantième roman…
Votre ligne éditoriale consiste à publier des suspenses riches en péripéties, percutants tendance rock ?
Il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, à l’époque où je sillonnais la France avec “Bérurier Noir”, j’ai été témoin d’une conversation dans un train. Un libraire, une galeriste et une bibliothécaire discutaient d’art. J’écoutais, témoin invisible. À un moment donné, une des dames, probablement la galeriste, a dit : en art, aujourd’hui, manque désespérément le cri de la rue. Dans ma tête, j’ai tout de suite répondu : c’est la faute du rock. Depuis, j’essaie de recréer ce cri dans toutes les formes que je pratique : littérature, cinéma, théâtre, cirque.
Il était donc normal qu’en démarrant une maison d’édition, j’ai eu envie d’y faire entendre ce cri délicieux et rauque. Celui du rock.
Étant vous-même auteur, est-ce une manière de montrer l’exemple, d’indiquer une tonalité d’écriture ?
Je n’aurais pas cette prétention, non. Chaque auteur à sa langue, son style, et c’est la spécificité de chacun que je cherche à montrer chez “Coups de tête”. Ce serait moche, sinon, de ne publier que ceux qui me ressemblent!
Auteur et traducteur connu des lecteurs français, Luc Baranger est associé à cette aventure éditoriale ?
Luc agit pour l’instant à titre de réviseur sur de nombreux titres parus chez “Coups de tête”. Nous sommes de bons amis et je ne désespère pas d’un jour publier un de ses livres.
Vous avez déjà des auteurs attitrés : Alain Ulysse Temblay, Laurent Chabin, Léo Lamarche, Sylvain Houde, Mathieu Fortin, Pascal Leclercq, Édouard H.Bond. Une dream team des talents actuels québécois ? Avec de nouveaux venus…
Parmi les noms que vous citez, l’un est Belge (Pascal Leclercq) et l’autre Française (Léo Lamarche est une femme, elle vit en banlieue parisienne). Pour ce qui est d’Alain, de Laurent, de Sylvain, de Mathieu et d’Edouard, oui, il s’agit de piliers et d’auteurs que je considère comme mon dream team. Je m’en voudrais de ne pas parler d’auteurs comme Mandalian, Emcie Gee, Dynah Psyché qui sont, elles aussi, des maillons importants de la chaîne “Coups de tête”. D’autres auteurs se joindront à l’équipe sous peu : des Québécois(e)s, des Français(e)s, des Haïtien(ne)s, des Suisses, des Algérien(ne)s… Des jeunes, des plus vieux : tous durs, tous rocks.
Quelques mots en hommage à Nelly Arcan ?
Trop difficile, désolé. Il faut lire Paradis clef en main.
Quelle est la place des auteures femmes dans cette collection, et dans l’écriture québécoise ?
Déjà, plusieurs sont des femmes. Mandalian, Emcie Gee, Dynah Psyché, Roxanne Bouchard, Léo Lamarche, Dominique Nantel. Et d’autres encore qui se joindront à l’équipe en 2011.
Il y a au Québec plusieurs jeunes auteurs qui sont des femmes. Ceci dit, la ligne éditoriale de “Coups de tête” peut donner l’impression de faire plus appel à un imaginaire d’homme… Ce qui ne saurait être plus faux. Qui a dit que les femmes ne pouvaient pas rocker?
Une petite place pour des auteurs français dans votre collection ?
Oui, une grande : pour l’instant, nous publions Léo Lamarche et Guillaume Lebeau, mais de nombreux manuscrit sont en cours d’édition. Je ne voudrais par contre pas trop vendre la mèche… Ceci dit, il y a encore de la place!
Quels sont les romans les plus excitants de votre production 2010, en particulier de la rentrée d’automne ?
Je ne m’attarderai pas trop sur le mien, Zones 5, qui paraît en France en septembre… Mais je pense qu’il en étonnera plusieurs! Disons simplement qu’il s’agit du numéro 4 de La Série Élise, une série qui est née de la parution d’Élise, signé de ma rude main… Il faut aussi lire les numéros 2 et 3 : Luna Park, de Laurent Chabin, et La phalange des avalanches, de Benoit Bouthillette.
Autrement, la France verra paraître pas moins de huit titres, de septembre à novembre. Même s’il m’est très difficile d’établir lesquels sont les plus excitants (je les aime tous, vraiment!), je me permets d’attirer votre attention sur Big Will, par Alain Ulysse Tremblay, sur Les chemins de moindre résistance, de Guillaume Lebeau (tiens, un français!), sur Comment appeler et chasser l’orignal, de Sylvain Houde, de même que sur Park extension, de Laurent Chabin. Comme je le disais tout à l’heure, nous avons ici trois piliers des “Coups de tête” qui s’expriment cet automne en France.
De l’histoire d’un Cree dans le monde des Innu du nord, qui n’a rien à envier à un Jack London moderne, au volume 5 de La Série Élise, en passant par le récit d’un enfant leucémique à la recherche de son écrivain fétiche et à celui d’un journaliste sur la piste d’une organisation éco-terroriste qui fait exploser des véhicules utilitaires sport dans les parking de grandes surfaces, le choix est multiple et diversifié!
Comment aussi ne pas parler du Serrurier, de Mathieu Fortin, qui fait se mêler une douloureuse rupture amoureuse contemporaine avec une histoire d’amour impossible de la période des Médicis à Florence? Et comment ne pas glisser un mot sur L’Humain de trop et de cette jeune fille qui se retrouve sur une ville flottante à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique, une petite goutte dans un océan de mort et de souffrance…
Bref, impossible pour moi de choisir.
Un message pour les lecteurs français de France ?
Même si “Coups de tête” est né à Montréal et y a ses quartiers généraux, la maison se veut plus ambitieuse que ce que ces limites géographiques présupposent. Bien entendu, “Coups de tête” publie principalement des auteurs Québécois, mais il ne faudrait jamais oublier que plus de onze des titres publiés jusqu’à présent ont été écrits par des auteurs originaires d’autres régions de la francophonie (Belgique, France, Martinique, Suisse), et que d’autres aussi s’en viennent.
Si le rock n’a pas de pays d’origine autre que celui du cri de la liberté, Coups de tête ne s’impose aucune autre limite que celle d’une littérature contemporaine, hurlante et grinçante, des livres où la narration s’appuie sur l’action.
Question de vous faire une tête, je vous invite à visiter notre site (*). Vous pourrez y lire des extraits de tous nos livres, de même que visionner les capsules vidéos promotionnelles que nous produisons depuis le début de l’année 2010.
Merci de vos réponses.
Tout le plaisir était pour moi!