Dans l’œuvre riche d’Hervé Jaouen, on trouve des romans noirs néo-polars, des histoires de terroir et des sagas familiales, des fictions ou des chroniques inspirées par l’Irlande. Suspense psychologique, “Le fossé” est avant tout une invitation à regarder autour de soi. À mieux observer nos proches autant que, plus loin, tous ceux qui nous entourent anonymement. À ne pas rester superficiel dans notre contexte quotidien, à prendre conscience des autres.
Sans doute est-ce la seule véritable faute commise par ce père de famille ordinaire, Xavier. Vétérinaire dans une ville moyenne, marié, deux enfants. Une vie tranquille, bourgeoise peut-être, routinière assurément. Catherine, sa fille de treize ans, il se contente d’en voir une image sans aspérité, entre gamine et ado. Par facilité, parce qu’il n’existe pas de motif d’inquiétude, Xavier est aveugle à la réalité de Catherine. Il ne connaît pas sa copine Barbara, si vulgaire, “mal élevée” au réel sens de cette formule. Pas plus que qu’il n’a entendu parler de la sulfureuse Estelle ou de sa demi-sœur Sandra. Des filles pas beaucoup plus âgées que Catherine, issues d’un monde que Xavier a du mal à imaginer.
Car Xavier n’a jamais porté le regard sur cette partie de la ville au-delà du fossé, grande artère servant de frontière avec les quartiers HLM. C’est pourtant dans ces quartiers-là, cette tour et ces immeubles ghettos, que vivent les “amies” du week-end de sa fille Catherine. Un espace clos laissé à sa saleté, où des gangs comme celui de Laser jouent aux caïds menaçants. Un univers hostile, malgré des gens moins malsains, tel Louis Boncoeur, hélas dépassés par l’ambiance glauque. Le club L’Éléphant Rose, dans les faubourgs, Xavier ne l’avait jamais remarqué non plus. Ce n’est pas que le patron soit forcément malhonnête. Mais face à une clientèle dangereuse, il est plus prudent de ne rien savoir.
Toute cette faune, Catherine l’a probablement trouvée excitante dans un premier temps. Elle a suivi Estelle, a côtoyé cette voyoucratie, à ses risques et périls. Quand Catherine a disparu ce dimanche-là, Xavier a tardivement ouvert les yeux. Sur sa fille, sur sa vie, sur sa ville, sur la réalité. Il s’est improvisé enquêteur, passant pour un flic, afin de la sauver. Il a eu besoin d’un revolver, pour avancer vers la vérité, ainsi que vers le drame. Douze ans plus tard, il revient avec lucidité sur cet épisode qui a détruit tant de chose pour lui, autour de lui…
C’est sans manichéisme, ni stigmatisation qu’Hervé Jaouen dessine le gouffre qui sépare Xavier de la malpropreté de cette Zone HLM. “Le fossé”, c’est aussi celui qui s’est creusé lentement entre le héros et sa fille. S’il y a là un échec, ses conséquences s’annoncent d’une sérieuse gravité. Portraits humains nuancés et scènes d’action se complètent harmonieusement, comme toujours chez cet auteur dont on connaît bien la finesse. Un excellent livre d’Hervé Jaouen.