Nos z’amis z’auteurs de polars ont accepté de répondre à l’interview express 2011 d’Action-Suspense, une nouvelle série dans l’esprit des Portraits Chinois. Ils nous donnent chacun leur version, amusée ou sérieuse, aux six questions décalées qui leur sont posées.
Aujourd’hui : Frédéric Paulin
L’ambiance de vos romans, c’est plutôt : Soleil bruineux sur jungle urbaine, ou Grisaille radieuse sur cambrousse pittoresque ?
Si je me laissais aller, l’ambiance de mes romans serait grisaille bruineuse sur jungle urbaine. Disons qu’à mon avis, le polar est un genre littéraire qui nécessite une mise en condition : le fond est largement influencé par la forme. C’est parce que les hommes vivent dans des lieux anonymes, sordides ou violents qu’ils développent une propension à la corruption, au crime ou à la lâcheté.
Vos héros sont plutôt : Beaujolais de comptoir, ou Double whisky sec ?
Les héros positifs apprécieraient plus un Beaujolais de comptoir; les salauds, eux, donneraient plus dans le whisky single malt 14 ans d’âge. Mais c’est finalement plus compliqué que cela : mes héros sont parfois bien plus tordus que les salauds, ils aiment aussi les alcools forts et virils que l’on déguste en fumant des cigares hors de prix dans les salons des hôtels de luxe et en tenant des propos borderline.
Vos héros sont du genre : J’aime personne, ou Je me déteste ?
A bien y réfléchir, mes héros ont fréquemment un problème avec leur père. Ils ont souvent du mal à s’aimer et, d’ailleurs, à détester les autres. Ils naviguent dans cet entre-deux psychanalytique qui voudrait qu’on tue le père mais sans le faire disparaître. Alors forcément, la misanthropie et la dévalorisation personnelle sont souvent deux compagnes des personnages principaux de mes romans.
Vos intrigues, c’est : J’ai tout inventé, ou Y a sûrement du vrai ?
Le polar est devenu un genre littéraire qui englobe de nombreuses écoles et certaines louchent franchement vers la littérature "blanche" très consensuelle. Moi, je dois faire partie d’une école que l’on pourrait appeler "polar-social" à la suite du "néo-polar" de Jean-Patrick Manchette, ADG, puis aussi de Didier Daeninckx, Thierry Jonquet ou Jean-Bernard Pouy. Alors forcément, je me situe plus dans le "Y’a sûrement du vrai". Considérant que la société est fondée sur des rapports de forces et une pression économique et culturelle qui écrasent un nombre toujours plus important de citoyens, je suis de ceux qui voient le polar comme un instrument de critique sociale - et pourquoi pas, politique ?
Vos intrigues sont : Des torrents imprévisibles, ou Des fleuves canalisés?
Mes intrigues sont des excuses pour dresser des tableaux et raconter des "gueules". Là encore, mais ça reste un raccourci très rapide, je suis plutôt dans le hard-boiled que dans le whodunnit. Les intrigues à la Agatha Christie ne m’ont jamais vraiment passionné alors que celles de Chandler ou de Hammett m’ont fasciné quand j’étais plus jeune.
Quel est votre propre état d’esprit : C’était mieux demain, ou Le futur c’est maintenant ?
Un petit peu pessimiste en ce moment. La gueule des vainqueurs d’aujourd’hui, de ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique ou culturel, qui ont dans l’idée de donner un sens à la chose publique, ne me plaît pas beaucoup. Mais ce n’était pas forcément mieux avant. Pour tout dire, j’ai un problème avec le pouvoir, que ce soit celui de la République, celui d’un petit chef de bureau, ou celui d’un individu sur un autre, le soir, au fond d’une ruelle sombre. Mes romans s’en font sans aucun doute l’écho.
Frédéric Paulin est l'auteur de "La grande déglingue" (Ed.Les Perséides, 2009) et "La dignité des psychopathes" (Ed.Alphée, 2010). Ma chronique sur son excellent roman "Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures" (2011) est ici. L'Oncle Paul parle de ce même roman chez "Mystère Jazz".