Publié chez Rivière Blanche, “Les vestiges de l’aube” est le premier roman de David S.Khara, qui connaît un beau succès avec son autre titre paru aussi en 2010, “Le Projet Bleiberg”. L’auteur maîtrise ici parfaitement son scénario et ses personnages, mêlant idéalement polar et vampires…
Dans le New York d’aujourd’hui, Barry Donovan est un policier ayant du mal à surmonter ses traumatismes. Témoin des attentats du 11-Septembre, il reste très marqué par la tragédie, à titre personnel. Son refuge, c’est cet appartement confortable au cœur de Manhattan, hérité d’un oncle. Internet est pour lui une façon de se sociabiliser à nouveau, en gardant un certain anonymat. C’est à travers un tchat que Barry a sympathisé avec le nommé Werner. S’il parvient mal à cerner cet homme possédant de la culture et une grande expérience de la vie, il sent naître une amitié pure entre eux, basée sur la confiance.
Avec son partenaire John Sanderson, le policier enquête sur une série de meurtres. Depuis huit semaines, une douzaine de cadavres ont été retrouvés à Manhattan. Les victimes sont des quadragénaires aisés, tous exécutés selon le même processus. Peu de points communs entre ces hommes d’affaires sans histoire. Pas d’indice non plus, c’est probablement l’œuvre d’un professionnel du crime. Lors d’une discussion avec Werner via le web, Barry évoque brièvement cette enquête.
Depuis cette cave protégée où il habite, Werner aimerait bien apporter son aide au policier. Si le monde actuel l’intéresse, c’est parce qu’il est très différent de celui dans lequel il a vécu. Werner est né au 19e siècle dans une riche famille d’industriels. Lui-même développa la fortune parentale, étant fabriquant d’armes durant la Guerre de Sécession. Pour son époque, cet aristocrate actif se voulait humaniste, dans un contexte qui ne s’y prêtait nullement.
Authentique mort-vivant, Werner survit depuis bien longtemps en absorbant une dose régulière de sang humain. Évidemment, hors de question d’avouer à son ami policier qu’il est un vampire. Pas encore, mais peut-être devra-t-il le faire prochainement. Pour l’heure, après une première rencontre réelle avec Barry, Werner suit l’enquête de celui-ci et de Sanderson en prenant diverses formes. Ses métamorphoses constituent un atout, mais sa force physique démesurée cause certains dégâts.
Le duo de policier trouve quand même une piste. Ils rencontrent une prostituée à la clientèle aisée. Grâce à elle, ils trouvent le nom d’Édouard Taylor, 42 ans, vice-président d’une banque d’affaires, résidant près de Central Park. Il a le même profil que les précédentes victimes. Dans son appartement, les policiers découvrent un cadavre. Ce Michael Sullivan était venu exécuter Taylor, mais c’est le banquier qui l’a éliminé avant de disparaître. Werner est aussi sur la scène du crime, quasiment invisible. Il parvient à faire parler Sullivan, qui lui livre le nom de son commanditaire, un caïd mafieux. Un renseignement qu’il fait discrètement parvenir à Barry. La prostituée et un de ses gardes du corps sont retrouvés chez elle, sauvagement assassinés, tandis que le deuxième gorille est en état de choc. Alors que Werner et Barry se sont donnés rendez-vous au Waldorf Astoria, le policier est invité contre son gré chez le chef mafieux…
Les histoires de vampires et les intrigues polars ne vont guère ensemble, en général. Les “pouvoirs” attribués aux vampires suffisent pour tout résoudre en cours de récit, et pour bâcler un dénouement artificiel. Amateur de cinéma d’action et de scénarios fantastiques, David S.Khara a su très habilement déjouer ces défauts. Une véritable enquête criminelle constitue le moteur de ce suspense, avec son lot de rebondissements et de scènes surprenantes. La qualité principale, qui rend solide et crédible cette aventure, c’est la profondeur des personnages de Barry et Werner. On n’ose dire des héros, car la définition qu’en donne Werner est plutôt sombre (page 155). À près de cent cinquante ans d’intervalle, les deux hommes ont un vécu puissant et tragique, ce qui les rapproche. Certes, le caractère du dandy Werner nous titille quand il se veut supérieur, mais son parcours relativise l’agacement. Barry diffère des flics blasés, trop souvent exploités dans le polar. Il reste comme en équilibre instable sur le fil de sa vie gâchée. Évitant d’abuser des clichés, voilà un excellent roman qu’on ne peut que conseiller.