Né en 1894, Dashiell Hammett est décédé le 10 janvier 1961, il y a tout juste cinquante ans. Fin 1922, il intègre l’équipe du magazine Black Mask, qui publie des nouvelles criminelles. Hammett devient très rapidement le chef de file du mouvement littéraire hard-boiled, dont les héros sont des “durs-à-cuire”. Il devient l’exemple à suivre pour les autres rédacteurs de Black Mask. “Son sens des dialogues, l’utilisation du langage de la rue, de l’argot, ses descriptions par touches successives, précises, la force du rythme de ses phrases : tout ce qui définira son style apparaît déjà dans les premières nouvelles” dit Natalie Beunat, en préface de “Coups de feu dans la nuit”. Cet Omnibus, qu’elle présente et supervise (en VF), propose soixante-cinq nouvelles (dont neuf inédites en français) réunies pour la première fois en un seul ouvrage.
Père du Roman Noir, Dashiell Hammett fut lui-même un personnage singulier. Son œuvre fut écrite en quelques années seulement, de 1922 à 1934. Pour bien situer l’auteur, il est souhaitable de lire d’abord les deux préfaces, dont celle de Richard Layman, biographe de Hammett. Le texte de la petite-fille de Dashiell Hammett, Julie Marshall Rivett, intéresse aussi les admirateurs de l’écrivain.
Cinq magnifiques romans et leurs adaptions à l’écran ont apporté la notoriété à Dashiell Hammett. Ils ont été re-traduits et réédités en un seul volume dans la collection Quarto, chez Gallimard. Néanmoins, ses nouvelles offrent une autre approche aux lecteurs. De nombreux livres historiques et une multitude d’informations variées permettent de se documenter sur l’Amérique des années 1920-1930. Bien qu’étant des fictions, les textes d’Hammett donnent tout autant un témoignage sur l’époque, une illustration vivante du contexte. Car l’écrivain observa sans nul doute le monde de son temps, et pas seulement quand il fut détective (de 1919 à 1921) pour Pinkerton.
L’ensemble des protagonistes de ses histoires semblent issus de la réalité, décrits avec justesse. Il n’étale pas leur psychologie, puisque leur comportement et les faits suffisent à les comprendre. Voici un exemple d’une situation exposée clairement, indiquant une ambiance en quelques phrases. “Le plancher vacilla sous mes pieds. Les fenêtres vibrèrent avec une violence qui dépassait l’intensité de l’orage. Le fracas assourdi d’une grosse explosion couvrit les bruits du vent et de la pluie qui tombait. Sans être toute proche, la déflagration n’était pas assez éloignée pour s’être produite hors de l’île.” Grâce à pareille concision, les faits sont partagés et ressentis par le lecteur, bien mieux qu’en délayant la scène ou en prêtant au personnage d’inutiles hypothèses.
Au fil du temps, les nouvelles d’Hammett contiennent davantage de violence, pour obéir au thème de Black Mask. Pourtant, il évite généralement de montrer crûment les meurtres, n’en rajoute pas sur la brutalité. Si son héros est en difficulté, il fait face aussi sereinement que possible au danger. “Je levai les mains. Je n’étais pas armé, n’ayant pas pour habitude de me munir d’un pistolet, sauf lorsque je sais que je vais en avoir besoin. Et mes poches auraient pu être bourrées d’une douzaine de flingues, ça n’aurait pas changé grand-chose. Je ne déteste pas tenter ma chance, mais elle n’existe pas lorsqu’on fait face au mufle d’un automatique qu’un homme décidé braque sur vous.”
Histoires de détectives privés, avec le Continental Op (l’agent de la Continental) et, bien sûr, Sam Spade faisant ses premières apparitions dans ces nouvelles. Il faut rappeler que ce sont des hommes mûrs, des enquêteurs efficaces. S’ils sont dans l’action, rien à voir avec des super-héros dotés de facultés supérieures. Ils font leur métier, cherchant à définir la vérité, le plus humainement possible. La “jungle urbaine” est leur terrain de prédilection. Ils ne sont pas confrontés qu’aux gangsters ou à la Prohibition. Les combines tordues et les criminels les plus retors, souvent peu soupçonnables, tel est l’univers de ces détectives.
Dans chaque texte, les intrigues sont diablement bien pensées et développées. Un humour certain est perceptible dans nombre de ces nouvelles. Pour ne citer qu’un exemple, L’ange de l’étage (1923) offre un joli clin d’œil : “Le squelette d’histoire que la fille lui avait raconté par-dessus les reliefs de son repas pouvait, grâce à un minimum d’efforts, se muer en une longue nouvelle qu’il n’aurait aucun mal à placer. Les histoires de truand étaient toujours très demandées, et celle-ci comporterait une monte-en-l’air femelle piquée sur le vif.” Gardons évidemment le suspense sur le savoureux dénouement de l’affaire.
Dashiell Hammett ne fut pas un simple “raconteur d’histoires”. À travers ces nouvelles, on comprend sa volonté de créer une intensité, une force narrative, et certainement une forme de témoignage. Son style direct lançait les prémices du Roman Noir, dont il est pour tous les passionnés et pour toujours le créateur. Ces “Coups de feu dans la nuit” pourraient bien devenir le livre de référence des amateurs de noirs polars.
En complément, on peut aussi lire ou relire les "Interrogatoires" de Dashiell Hammett (Éd. Allia, 2009), document essentiel sur l'auteur.
Dans les années 1950, le maccarthysme et sa paranoïa anti-communiste créent aux Etats-Unis un climat dangereusement malsain. En ces temps de Guerre Froide, on accuse bon nombre d’intellectuels de sympathies pour la cause communiste. S’il se qualifie toujours d’écrivain, Dashiell Hammett n’a plus produit de romans ou nouvelles depuis fort longtemps. En 1946, il a été élu président du Congress of Civil Rights de New York, groupe ayant institué un fonds de cautionnement visant à faire libérer les militants de gauche arrêtés pour raisons politiques. Après que quatre d’entre eux se soient soustraits à l’obligation de comparaître devant un tribunal, Dashiell Hammett et d’autres administrateurs du Congress of Civil Rights furent convoqués en justice. Son témoignage, le 9 juillet 1951, constitue le premier interrogatoire de ce livre. Hammett refuse de répondre à toutes les questions concernant les quatre fugitifs, ainsi que sur son éventuel militantisme communiste. Il invoque le Cinquième Amendement de la Constitution américaine (qui permet à tout citoyen de ne pas témoigner, si la réponse peut lui porter préjudice). Les initiales DH figurent sur des documents de cautionnement. Hammett reconnaît le fait, sans admettre qu’il s’agit de sa signature. Quant à fournir les livres de compte de son association, il n’en est pas question. Dashiell Hammett va être condamné à six mois de prison (pour outrage à magistrat).
Le deuxième interrogatoire intervient le 24 mars 1953, devant une sous-commission sénatoriale. Cette fois, on est dans le cadre de “la chasse aux sorcières”, sous l’égide de Joseph McCarthy, même s’il n’est pas présent. Dans ce document (nouveau, car disponible depuis 2003), Hammett témoigne de ses activités d’écrivain. On veut encore lui faire avouer des sympathies communistes, lui demandant si ses textes évoquent des questions sociales. Il cite sa nouvelle Night Shade, qui traite plutôt des problèmes raciaux entre Blancs et Noirs. Deux jours plus tard, le 26 mars 1953, Dashiell Hammett est entendu pour un troisième interrogatoire, cette fois en présence de McCarthy. L’une des principales questions est la suivante : est-ce ses droits d’auteurs ont partiellement servi à financer des activités communistes aux Etats-Unis. Sur le sujet, Hammett invoque toujours le Cinquième Amendement. Le sénateur McCarthy ne manque pas de l’interroger sur ses idées politiques. On appréciera les réponses (réfléchies) de Dashiell Hammett.
Il faut se souvenir de la forme solennelle des procès et des auditions de ces
commissions dirigées par Joseph McCarthy, telles que quelques documentaires nous les ont montrées. La froideur méprisante - voire ironique - des accusateurs, si sûrs d’incarner le patriotisme et
la justice, est effrayant. Purs exemples du délit d’opinion, indignes d’une nation prétendant défendre la Liberté, qu’aucun complot subversif ne menaçait. Remarquable témoignage sur la
personnalité du principal pilier du Roman noir, en un temps où le militantisme n’était pas une idée abstraite. Traduits et présentés par Natalie Beunat, ces “Interrogatoires” constituent un
document extrêmement intéressant.
Cliquez ici pour l'interview de Natalie Beunat, autour du livre "Dashiell Hammet, mon père" (de Jo Hammett)