Après “Un pied au paradis” et “Serena” (Éd.Le Masque), le nouveau roman de Ron Rash est disponible dès le 23 août aux Éditions Seuil. “Le monde à l’endroit” n’est pas exactement un polar, mais tout simplement un remarquable roman.
Dans le comté de Madison en Caroline du Nord, autour de la ville de Marshall, à la toute fin des années 1970, sous la présidence de Jimmy Carter. C’est une région rurale, où l’on cultive encore la tabac, tel le fermier Shelton. D’autres, comme Carlton Toomey et son fils Hubert, s’essaient à des plantations clandestines de cannabis. Ex-prof, Leonard Shuler s’est installé dans le coin, habitant un mobile home. Divorcé de Kera, père de la petite Emily, il a été viré de l’enseignement suite à un coup monté. Dealant diverses drogues, Leonard ne manque pas de fric. Il a accueilli depuis quelques mois une paumée nommée Dena. Déjà usée, elle se shoote aux cachets gratuits du stock de Leonard. Quand le fils Shelton âgé de dix-sept ans, Travis, lui propose quelques pieds de cannabis volés, il les achète sans se poser la question de leur provenance.
Rudoyé par son sévère père, Travis Shelton est un garçon malingre, bon pêcheur, sans grand avenir comme son ami Shank et leurs copains. Quand il tente une troisième fois de dérober des pieds de cannabis, les Toomey interviennent. Travis a le tendon sectionné par Carlton Toomey, qui finit par le faire hospitaliser. Une blessure qui passera pour accidentelle. Mais rien ne va plus entre Travis et son père. Le jeune homme quitte la maison, et se réfugie chez Leonard. Ce dernier a remarqué les capacités de Travis, qu’il estime “récupérable” s’il veut se cultiver. Dans le mobile home rempli de livres, et avec ceux de la bibliothèque municipale, Travis a la possibilité de préparer un examen GED, qui l’autoriserait à reprendre l’école. Pendant plusieurs mois, Leonard l’aide à parvenir à un bon niveau. Lori, devenue la petite amie de Travis, lui apporte également un vrai soutien.
Ce comté, c’est aussi celui du massacre de Shelton Laurel en 1863, pendant la Guerre de Sécession, qui dura ici quatre années. Selon Leonard, les deux camps se montrèrent aussi féroces. Outre les ouvrages consacrés à cette période, il consulte aussi les registres du Dr Joshua Candler, établi dans la région dès 1850. Il soigna la population modeste du secteur, puis les combattants. Le jeune Travis garde le contact avec sa mère, mais s’éloigne un peu de Shank et des autres, trop lourdingues. À part Lori et Léonard, on comprend mal ses ambitions. Dena n’a rien à attendre de bon si, après un week-end sexuel, elle finit par vivre avec les Toomey père et fils. Possédant assez d’argent, Leonard songe à cesser l’activité de dealer, d’autant que ce ripou de shérif local commence à sévir. Pour Travis et Lori, le résultat de l’examen GED sera déterminant quant à la suite…
Ce n’est pas purement un polar, pas un roman strictement criminel. Même si des actes délictueux, le souvenir d’un massacre, et le dénouement, associent cette histoire au genre. Roman noir, par sa dimension sociologique, certainement. Une bonne part de suspense aussi. En particulier concernant ce Dr Candler, dont les extraits de registres du 19e siècle ponctuent le déroulement du récit. Ron Rash situe son sujet à une époque (vers 1978) où la ruralité reste souvent synonyme d’échec social. Il faut une forte volonté et être bien conseillé pour sortir de cette cambrousse sans perspective, peut-être plus encore que de nos jours.
On retient en priorité l’humanisme dont est empreinte l’ambiance. Si Leonard fut prof, ce n’est pas un donneur de leçon. Faute de pouvoir protéger sa famille, il offre un refuge à la pauvre Dena et au prometteur Travis. Ce dernier est un garçon en pleine quête identitaire, qui doit impérativement opérer une rupture dans sa vie pour évoluer. “Travis observa avec attention le type assis dans le fauteuil relax, en tâchant de comprendre pourquoi Leonard Shuler était un gars à qui on n’avait pas envie de se frotter. Il pensa à son père et à Carlton Toomey, des grands gaillards qui n’avaient pas besoin d’élever la voix parce qu’ils pouvaient vider une pièce d’un seul regard sévère. Travis se demanda si un jour on le traiterait de brute, et regretta une fois de plus de ressembler à sa mère, à l’ossature si grêle.” Les questions sur la tuerie de Shelton Laurel l’intéressent aussi, car ses aïeux en furent victimes, même si Leonard est le plus impliqué. Un roman d’une belle puissance évocatrice, avec sa fausse simplicité narrative. Voilà assurément un livre de qualité supérieure.