Encore mal connu en France, Patrick Senécal est un auteur chevronné ayant publié une dizaine de titres. Ses solides romans, d’une réelle noirceur, sont très appréciés des lecteurs québécois. C’est dans la collection Coups de Tête qu’il publie “Contre Dieu”… Quelques éléments sur cette intrigue...
Ce Québécois de trente-cinq ans est commerçant, patron d’un magasin de sport. Marié avec Judith, ils ont deux enfants, Béatrice et Alexis. Eux trois ont passé le week-end chez les parents de son épouse. Ce 21 février au soir, ils vont rentrer en voiture. Ce sont deux flics à la mine attristée qui sonnent à sa porte peu de temps après un ultime appel téléphonique. La voiture de Judith est tombée dans un ravin dans ce virage étroit de cette saleté de route en zigzags, que sa famille a souvent empruntée. Ils sont morts tous les trois dans cet accident, sur lequel la police enquêtera, bien sûr. Se moquant des circonstances, sous le choc, il s’est déconnecté immédiatement de la vie. Les appels téléphoniques, la famille de Judith et la sienne, il n’y répond bientôt plus. C’est son beau-frère Jean-Marc qui se charge de toutes les formalités. Sylvain, son meilleur ami, peut lui offrir un refuge, au lieu de rester dans cette maison vide. La solitude, il la vit déjà dans sa chair. Sur son vélo d’entraînement, ce sportif pousse son effort au maximum. C’est suicidaire, mais ça ne suffit pas à l’achever.
Il s’isole d’abord dans une chambre d’hôtel, avant de rejoindre ses proches et amis au salon funéraire. Suite à une réflexion qu’il juge stupide, il provoque un incident dont les effets auraient pu être graves. Plus tard, il retrouve Sylvain dans un bar. Il a déjà dépassé une frontière, ce que son meilleur ami n’est pas en mesure de comprendre. Dans ce bar, une jeune femme prénommée Mélanie se laisse inviter par le veuf. Elle n’a aucune intention de coucher avec lui, mais sait se montrer compatissante. Parce que, comme lui, elle est habitée d’une souffrance intime. Lui s’enferme dans son violent égoïsme. Nouvel incident, avec un automobiliste, suite à une collision en voiture. Ivre, il erre maintenant dans la ville, au cœur de la nuit. Dans un club, il provoque deux jeunes femmes, puis s’amuse à causer un psychodrame sans conséquences dans le métro.
En rupture totale avec tous les membres de sa famille et avec ses amis, il finit par louer un meublé dans l’immeuble où habite Mélanie. Elle tente de l’amadouer en partageant un repas, avant de sortir en boite de nuit. Mais cette nuit-là, il va finalement la passer avec Andréane, bien plus jeune que lui. Débutant par un désaccord sexuel, leur querelle violente va fatalement mal se terminer. Mélanie ne renonce pas. Elle amène le veuf désemparé dans cette maison des jeunes en rénovation, une initiative du Père Léo. Il doute que le prêtre apporte un remède à sa terrible souffrance, malgré sa bienveillance. Il ne possède pas la motivation exaltée de Mélanie, reste irritable avec elle. Ses comptes bancaires ont été bloqués par sa famille, afin qu’il se manifeste. Maintenant qu’il a récupéré une arme à feu, il se lance délibérément dans "sa" guerre…
Ce survol de l’intrigue ne reflète qu’imparfaitement ce remarquable roman. Car il est impossible de traduire en quelques lignes l’ambiance de cet itinéraire d’un enragé fou de douleur. Quand survient un tel drame, il n’y a pas de réponse au "Pourquoi ?" qui s’impose à l’esprit du survivant. Détruire les autres comme il a été soudainement détruit lui-même, telle parait être la solution adoptée par ce personnage central. Il ne s’agit pas de vengeance : c’est un mal profond et monstrueux qui a explosé en lui, qui commande ses actes.
L’accident de voiture et ses conséquences, voilà un thème que quelques très bons romanciers ont déjà traité. Pas de cette manière-là, c’est certain. Ici, le mode narratif particulier surprend dans un premier temps. On comprend vite qu’il est parfaitement adapté au récit. C’est une fuite en avant désespérée, une course effrénée qui ne laisse pas le temps de reprendre son souffle. Ces qualités stylistiques offrent une puissance supplémentaire à l’histoire, le tempo reflétant l’état d’esprit du héros. La relative brièveté du texte correspond aussi à ce rythme. “Coup de cœur” évident pour cet excellent roman !
[La collection Coup de Tête est diffusée partout en France, voir ici]