Direction le Québec, avec un excellent “polar noir” de Michel Vézina publié dans la collection Coups de tête des Éditions Les 400 coups : “Sur les rives” (2009).
Reporter indépendante au Québec, Mélanie Bonne s’intéresse principalement à des dossiers tordus. L’affaire venant de se produire à Rimouski appartient à cette catégorie. Quand le cadavre d’une femme mutilée a été découvert à l’Anse-aux-Sables, on a alerté le policier Charles Lesage. Celui-ci a immédiatement reconnu le corps de son ancienne amante, Adèle. Trente-deux ans plus tôt, Lesage tomba éperdument amoureux de cette femme, dont la réputation de prostituée n’était pas usurpée. Adèle disparut à l’époque, suite à l’incendie de son hôtel. L’enquête sur sa mort s’annonçait pénible, les meurtres étant rares dans cette région située à trois cent vingt kilomètres au nord-est de la ville de Québec. Quand Lesage retrouva les morceaux manquants du cadavre d’Adèle sur son bateau, il fut certain d’être visé. Après une longue abstinence, il se réfugia dans l’alcool. Son supérieur et ami, le capitaine Bélanger, ne doutait pas de son innocence. Quand l’assassin apparut, détaillant les sombres raisons de son crime, l’affaire vira au drame — malgré l’intervention intuitive de Bélanger.
Mélanie se rend à Rimouski afin de cerner le contexte, écoutant, prenant le pouls sans poser de question. “Les gens de la région n’aiment pas que des journalistes ne s’intéressent à eux que lorsque des drames surgissent (…) L’ambiance est d’ailleurs plus anglo-saxonne que latine. Étrange pour une petite ville où personne ne parle autre chose que le français. Les coiffures sont soignées, les vêtements propres, les sourires rares. Rimouski est une petite ville bourgeoise, propre sur elle.” Le capitaine Bélanger accepte de rencontrer Mélanie, qui cite un cas identique s’étant produit à Moncton quelques années auparavant. Le policier répond qu’une nouvelle affaire similaire vient de se produire à Provincetown. Conclure à une série criminelle est pourtant prématuré.
Natif d’Haïti, Faustin Robert se présente comme enquêteur itinérant. Voyageur au passé compliqué, il dépend du NYPD, la police de New York. À Cuba, à Miami, Faustin a recensé plusieurs autres affaires identiques. Des meurtres semblables peuvent encore se produire au Canada. Entre son amant Jimmy, rasta blanc rimouskois, et le marginal Pierrot, un mystique déjanté, Mélanie n’avance guère dans son enquête. Elle a tendance à abuser de l’alcool et, surtout, de la drogue. On apprend que des nouveaux cas au scénario identique ont eu lieu à Carleton, puis à Baie-Comeau. Bélanger, Mélanie et Faustin suivent ces affaires de près. Déterminer ce qui relie ces crimes n’a rien d’évident. Est-ce parce qu’ils ont trop approché la vérité que Bélanger et Mélanie risquent d’être empoisonnés ?…
Voici un roman (et un auteur) québécois que les lecteurs francophones amateurs de noirceur doivent absolument découvrir. Il mérite vraiment le qualificatif de “polar noir”. Ce sont des personnages forts, au vécu souvent tourmenté, qui animent cette intrigue. Même si le climat dense est assez glauque, le sujet est bien plus subtil qu’une banale histoire de serial killer. Grâce à la tonalité vive du récit, on est tout de suite embarqués dans une étrange suite criminelle, racontée avec la nervosité nécessaire. Des tripes, du sang, du mystère, du danger, tels sont les ingrédients indispensables. La ville canadienne de Rimouski existe, avec un lieu nommé Pointe-au-Père (ce qui a pu inspirer l’auteur). Soulignons le savoureux réalisme des dialogues, usant avec malice du parler authentique : “Ça sent la marde ! J’l’ai connue, moé, Adèle… Je l’savais qu’a l’était pas morte. Un jour ou tard, a l’allait revenir. A l’avait encore des affaires en suspens, moé j’pense.” Sourires aussi dans les titres allusifs de chaque chapitre. Un polar de très belle qualité !