Parmi les nouveautés BD de cette rentrée 2010, deux titres utilisent des décors parisiens nocturnes. La différence entre ces deux albums ne vient pas seulement de leur colorisation ou non. Il est probable que les amateurs de polars auront une préférence pour le premier, qui est d’ailleurs le moins coûteux.
Edmond Baudouin / Fred Vargas :
“Le marchand d’éponges” (Librio, 2010)
C’est un clochard nommé Toussaint Pi, à la rue depuis dix ans. Voilà quatre mois qu’il a découvert 9732 éponges végétales dans un hangar abandonné de Charenton. Chaque jour, il en entasse dans son caddie (qu’il a appelé Martin, tel un âne) qu’il pousse dans les rues de la capitale. Au rythme où il vend ses éponges, Pi en a pour plus de six ans à liquider son stock. Cette nuit-là, il est sur le point de s’endormir, tout près de Martin. Un taxi dépose une femme vêtue d’une fourrure blanche. Peu après, plusieurs coups de feu visent cette personne. L’assassin a sûrement confondu Pi avec un tas de vieux vêtements ignorés sur le sol, tant mieux pour lui. Alertée, la police débarque en force. Si la victime avait été Monique, sa copine qui tient le kiosque à journaux, il n’y aurait pas eu autant de grabuge. Pi est embarqué comme témoin jusqu’au commissariat. Avec son caddie et le chargement d’éponges miteuses.
C’est le policier Jean-Baptiste Adamsberg qui interroge le clochard. Pourquoi Pi
aiderait-il l’enquêteur ? “La femme en fourrure, elle a fait le tour de moi comme d’un tas de merde. Alors, pourquoi je l’aurais vue, moi ?” Gravement blessée, la
victime est quelqu’un d’important, de haut-placé, proche du Ministère de l’Intérieur. D’où le grabuge. Pas ça qui va inciter Pi à collaborer, bien sûr, lui le
gueux vendeur d’éponges. “Vaut peut-être mieux avoir 9732 éponges sur le dos que trois balles dans le corps” répond Adamsberg. Comment faire comprendre à Pi qu’il ne
compte pas moins que la victime ? Une promenade à deux dans le métro ouvre le rapprochement entre eux. Pi, avec un nom pareil, c’est le roi des chiffres. Même si ça ne lui a guère été utile dans
son quotidien. Après qu’Adamsberg l’ait installé dans une chambre d’hôtel, un envoyé du Ministère fait pression sur le policier. Impossible d’obliger un type comme Pi à parler…
Il s’agit d’un BD inédite, adaptation de “Cinq francs pièce”, une des nouvelles du recueil “Coule la Seine” de Fred Vargas. Belle version en noir et blanc, ce qui colle plutôt bien à l’écriture de cette auteure. D’autant que l’essentiel se déroule durant une nuit, dans une sombre ambiance urbaine. Le face-à-face entre les deux hommes, Adamsberg n’étant à sa façon pas moins marginal que Toussaint Pi, est fort bien exploité. Le graphisme d’Edmond Baudoin est très pictural, et sa mise en scène de l’histoire utilise habilement les décors parisiens, sans les imposer au regard. Ce qui permet de respecter le texte et l’esprit de Fred Vargas. Une approche différente et séduisante de l’univers d’Adamsberg.
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Arnaud Malherbe / Vincent Perriot :
“Belleville story -1.Avant minuit”(Dargaud, 2010)
Freddy est un petit caïd parisien, sillonnant les rues de Belleville en rackettant quelques habitants. N’hésitant pas à jouer au dur avec les faibles, ce jeune voyou est au service du colérique Jadzek. Cette nuit-là, tous deux livrent un camion volé à une bande locale, des violents. Au lieu des cinquante télés dernier cri prévues, le véhicule cache un groupe de clandestins asiatiques. Chargement qui n’est pas du goût de la bande d’excités. Jadzek et Freddy savent à qui s’adresser pour se débarrasser des sans-papiers. M.Wang est le puissant patron d’une mafia du quartier, hermétique à toute pitié. Acceptant de “prendre en charge” les clandestins, Wang demande à Jadzek de lui prêter Freddy pour une mission. Un Chinois vient de débarquer à Paris, en provenance directe de son pays. Il s’agira pour Freddy de retrouver ce M.Zhu, afin de lui donner une arme.
Freddy repère aisément M.Zhu. C’est un piège : les sbires de M.Wang sont aussi
présents, cherchant à abattre le Chinois. Rattrapé par les mafieux asiatiques, Freddy est torturé avant d’accepter de buter M.Zhu contre une forte somme. Peut-être que s’il réussit un gros coup
pour Wang, le jeune caïd gagnera assez pour que son amie Larna cesse de se prostituer. Éviter qu’elle s’enlise comme sa copine Sacha. Freddy reprend
contact avec M.Zhu. Peu après qu’il se soient retrouvés dans un bistrot, une descente de police les oblige à fuir. Freddy finit par convaincre le Chinois qu’il peut l’aider. Car celui-ci n’est
pas à Paris pour une courte visite touristique. Il cherche la trace d’Hibiscus, jeune Chinoise de quinze ans. M.Zhu pense qu’une prostituée peut leur apporter des informations…
Sentiments mitigés à la lecture de cette BD. Le scénario semble vouloir refléter une réalité actuelle de la criminalité parisienne. Caïds pas si courageux, bandes de délinquants nerveux pratiquant le trafic d’objets volés, organisation mafieuse chinoise, tels sont les protagonistes habituels des histoires de truands. Quant à la romance entre Freddy et Larna, rien d’innovant. On trouverait à peu près les mêmes éléments dans un vieux polar des années 1950. Néanmoins, l’histoire est correctement construite, plus proche d’un téléfilm que de Martin Scorcese. Côté graphisme, le meilleur côtoie ici le moins bon. Le décor citadin nocturne est assez bien rendu, la vitesse de certaines scènes convainc à peu près. Toutefois, on déplore que bon nombre de passages soient dessinés avec un minimalisme regrettable. Sous prétexte d’intimisme, le fond de décor s’efface. Idem pour certaines scènes de nuit en extérieur. On peut imaginer que ce soit volontaire, mais ça méritait d’être un peu mieux fignolé. Surprise finale : vous êtes priés d’attendre le tome 2 pour connaître la suite de cet album.