Georges Brassens (1921-1981) évoqua la Mort dans plusieurs de ses chansons. Il l’appelait la Camarde, la Faucheuse. Sans doute n’était-ce pas chez lui une obsession, mais une conscience de la mort. Une fatalité qui accompagne chacun d’entre nous. Dans “Georges et la Mort”, album paru aux Éditions 12bis, Blaise Guinin illustre cette relation (parfois conflictuelle) avec poésie et humour…
La Mort n’a pas d’états d’âmes, ne fait preuve d’aucun favoritisme. Elle agit sans distinction d’âge ou de catégorie sociale. On finit toujours par la rencontrer. En 1947 à Paris, la Mort est chargée de s’occuper d’un chanteur sans avenir nommé Georges. Dans le quartier, les commères lui font une mauvaise réputation. Gros dégueulasse, pervers, répugnant, les qualificatifs désobligeants volent bas.
Ce Georges loge impasse Florimont, venelle lugubre, dans un véritable taudis. Cette infâme bicoque serait donc sa dernière demeure. Dans cet univers désargenté, il ne peut compter que sur la Jeanne. Elle l’a hébergé, choyé, nourri. Ce n’est pas son mari Marcel, ivrogne notoire, qui peut améliorer la vie du trio. Gagner de l’argent avec ses chansons, au vu des réactions de producteurs, Georges y croit de moins en moins. Guère d’espoir pour lui de sortir de la dèche intégrale.
Séduite par les chansons de Georges, la Mort n’a plus envie de le supprimer. Ce qui déplait fort au maléfique chat noir rôdant sur les toits et dans les cours du quartier. Pourquoi s’attacher à ce Georges, qui compose de si belles chansons ? Les sarcasmes d’un chat de mauvais augure ne changent pas la décision de la Mort : il vivra le plus longtemps possible.
Hélas, il y a bien trop de cons sur cette terre, qui tardent à reconnaître le talent de Georges. Et puis, l’hiver si rude dans la maison mal chauffée de Jeanne, c’est quand même terriblement difficile à supporter. D’autant qu’ils ont à peine de quoi manger. Dans sa détresse, il croise un flic philanthrope, mais aussi un croque-mort bienveillant. Quand Georges se suicide, la Mort l’en empêche. Le chat noir n’a pas dit son dernier mot, attisant la colère des mégères du secteur, toujours prêtes à nuire à Georges…
Ce roman graphique retrace à sa manière une partie de la vie de Georges Brassens. Époque oblige, le dessin est en noir et blanc, rehaussé de teintes qui donnent une impression plus colorée. On aime les clins d’œil aux chansons, dont “Les amoureux des bancs publics”, “Le parapluie”, “La cane de Jeanne” ou “Le gorille” (avec la vieille dame et le juge). Ainsi que ces femmes hargneuses qui, bien que parfois adultères, condamnent Georges et ses textes orduriers (selon elles). L’histoire ne néglige pas des épisodes plus sombres, bien sûr. La rivalité entre la Mort et le chat constitue un des éléments capitaux du récit. Cette bédé très séduisante (qui mériterait sans doute un Coup de Cœur s’il s’agissait de polar) constitue un bel hommage au regretté Brassens. Dont les chansons nous accompagnent toujours, trente ans après son départ.