Jérémy Guez et Rachid Santaki sont deux auteurs qui ont retenu ces derniers temps l’attention des lecteurs. Dans “Paris la nuit” comme dans “Les anges s’habillent en caillera”, ils mettent en scène des délinquants actuels issus de la banlieue, des cités. Mon camarade blogueur Bruno m’a demandé si ce thème avait donné lieu à d’autres romans similaires, récents ou plus anciens. La banlieue urbanisée depuis les années 1960-70, avec ses villes nouvelles, c’est un contexte qui intéresse les auteurs de polars. Le décor souvent grisâtre et froid de ces quartiers laisse augurer des troubles à venir. Toutefois, la violence d’il y a près de quarante ans n’est pas celle qui s’est installée depuis plus d’une décennie. Il ne faut donc pas rechercher des ambiances exactement comparables.
Déjà en 1973, le premier roman noir de Jean Vautrin “À bulletins rouges” se déroule à
Sarcelles, gérée par une municipalité de droite. À la veille des élections législatives, cinq jeunes motard mi-ouvriers mi-voyous vont agiter la campagne politique jusqu’à une fin tragique… Dans
“Bloody Mary” (1979, Prix Mystère de la Critique) du même Jean Vautrin, on retrouve à Sarcelles une galerie de portraits gratinés… La violence et ses dérapages, avec la même noirceur,
qu’elle touche la banlieue ou toute la société, ce sont des sujets évoqués par certains romans de Frédéric Fajardie, Didier Daeninckx ou de Claude Klotz dans la série Reiner/Raner (publiée chez
Christian Bourgois, puis au Fleuve Noir), en ces années 1970-80.
Il faudrait aussi relire deux romans de Jean Mazarin situés en banlieue, dans la collection Spécial-Police du Fleuve Noir. “H.L.M.Blue” (1979) n’est pas si éloigné de nous. Dans une banlieue citadine anonyme, un groupe de copains se compose de la blonde Nize (Denise), de la brune Craquette, et de quelques garçons dont La Frise. Peu d’emploi pour eux qui traînent leur temps dans ces quartiers. Pas de job sérieux non plus pour Dimitri Spoutnik N’Gmo, un grand Noir qui finit par attirer le regard de Craquette et Nize. Avec lui, c’est une bande de malfaiteurs qui s’organise. Pas de surprise, l’histoire finira mal, comme on nous l’indique dès le premier chapitre. Le groupe est cerné dans un squat appelé La Smala, par les troupes d’un colonel de la gendarmerie mobile (d'avant le GIGN ou le RAID). Celui-ci affirme : “Moi je suis un soldat et mon idéal est le maintien de l’ordre, même si je dois tirer sur d’autres Français, des manifestants par exemple. D’ailleurs, je l’ai fait il y a quinze ans en Algérie. Alors, vous pensez bien que ces petits salopards…”
Jean Mazarin est aussi l’auteur de “Tellement gris” (1981). Certes, il n’agit pas d’un contexte criminel lié à la banlieue, mais d’une
belle intrigue. Cette histoire montre la vie de Jean-Baptiste Frémange, banlieusard célibataire de trente ans. Une petite vie entre son appartement bien rangé, sa voiture bien entretenue, sa
gymnastique matinale, sa place de parking à la gare, son éternel même trajet en train vers Paris. Chaque jour, il y observe Sophie, qui représente son idéal féminin, mais n’ose l’aborder. Un
pluvieux jour de grève, ils font plus ample connaissance quand il l’emmène en voiture avec lui à Paris. Le couple devient bientôt intime. Sophie présente officiellement sa mère Odile à
Jean-Baptiste. Sans doute celle-ci est-elle un peu jalouse de sa fille, comme le dit Sophie. En effet, Odile ne tarde pas à se rapprocher de l’ami de Sophie. Au point qu’il choisit plutôt la mère
que la fille. Mais la situation n’est pas forcément ce que croyait le candide Jean-Baptiste…
Le temps passant, l’univers banlieusard urbain change. Dans “Avis déchéance” (1998) et
“Les ardoises de la mémoire” (1999), Mouloud Akkouche met en scène Nassima Benarous, commissaire de police à Batreuil, quelque peu dépressive. Une approche très noire, voire assez glauque, du milieu urbain. Né à Montreuil en 1962, l’auteur connaît bien les décors de banlieue dont il parle.
Lakhdar Belaïd a publié deux romans dans la Série Noire, “Sérail Killers” (2000) et “Takfir Sentinelle” (2002). À Roubaix, Karim Khodja est journaliste pour Nord Info. Son meilleur ami est le policier Bensalem, surnommé Rebeucop, trentenaire comme Karim. D’ailleurs, il arrive qu’info et enquête se rejoignent. “Sérail Killers” a pour thème le sort des harkis et de leurs familles, ici victimes d’une série meurtrière dans la banlieue roubaisienne. “Takfir Sentinelle” aborde un sujet toujours présent. Un groupe de jeunes Beurs armés se livre à diverses exactions dans la région de Roubaix. Ces exaltés sont dirigés par Christian et Laurent, deux Français convertis à l’Islam. Ils mènent une véritable guerre, inspirée des mouvements prônant la domination islamique à travers le monde… Ce roman fut écrit avant les attentats du 11-Septembre. Il faut lire aussi “World Trade Cimeterre” (2005-encore disponible en version numérique) du même auteur, qui met en scène un trio de jeunes Lillois, devenant kamikazes au nom de l’Islam.
On retrouve en 2011 Karim Khodja et le policier Bensalem dans “Les fantômes de Roubaix”
(Polars en Nord). Le journaliste suit les faits divers marquants dans la région, tel ce dramatique accident de voiture. À cette occasion, il rencontre Karim Khodja, son homonyme. Ce
monsieur âgé mais encore fort est son oncle. Le journaliste le croyait mort durant la Guerre. Khodja senior est encore derrière lui quand Karim s’informe
sur un incident causé par des fachos autour d’un lycée. Le journaliste ne se sent pas à l’aise face à ce parent exprimant une dureté certaine. Karim a remarqué autour du lycée un curieux albinos,
portant un vêtement genre Arlequin. Il n’a pas tardé à le surnommer Logan, en référence à un héros de SF. L’albinos qui provoque une fusillade en direction d’un commerce, avant de s’attaquer aux
locaux d’une ONG. Puis il prend pour cible un couple, abattant l’homme, Marc Vandoren. Plus tard à Lille, il s’attaque à M.Marive, mais c’est un témoin passant par là qu’il exécute. L’albinos
s’occupe encore d’une héritière quinquagénaire qui va trouver la mort, calcinée sur son vélo. De son côté, Karim voudrait comprendre ces cauchemars guerriers, qui le hantent violemment dans son
sommeil. Avec Kodja senior, nul ne semble tellement à l’aise. Bensalem et l’épouse du journaliste sont inquiets de ces cauchemars qui perturbent Karim…
Parmi les titres récents, citons le roman de Dominique Manotti “Bien connu des services de police” (2010). Dans la banlieue nord de Paris, la ville de Panteuil constitue un secteur sensible en matière de délinquance et de criminalité. Solidaire des efforts du ministère de l’Intérieur pour une meilleure sécurité, la commissaire Le Muir est bien décidée à trouver des solutions. Il faut commencer par les squats, générateurs de tous les trafics. Elle peut compter sur son chauffeur, Pasquini, dont les relations mi-truands, mi-fachos sont bien utiles. Au sein du commissariat de Panteuil, les policiers partisans de la méthode forte sont légion. Le plus excité est Paturel, chef d’une brigade de la BAC. Avec son équipe, il rançonne un groupe de prostituées réfugiées dans un parking. Ivan fait partie des collègues de Paturel, mais sans partager leur enthousiasme. Des problèmes annexes le tracassent.
Deux jeunes policiers viennent d’arriver au commissariat de Panteuil. La blonde Isabelle Lefèvre doit calmer les ardeurs sexuelles des collègues. Elle est affectée à une brigade de Police-Secours. Elle va être mêlée à un magnifique ratage policier. Sébastien Doche, l’autre nouveau, a intégré le Bureau des plaintes. Entre cynisme et fausse compassion, le vieux brigadier en poste gère les situations en fonction de critères discutables. Doche entreprend une enquête sur les vols de voitures de luxe. Il ne tarde pas à repérer le garage Vertu, curieusement fréquenté par Pasquini, le chauffeur de la commissaire, qui y rencontre des types à l’allure suspecte. Noria Ghozali appartient aux R.G. Avec le soutien de Macquart, un ancien du service encore influent, elle espère faire tomber l’ambitieuse Le Muir…
Plus controversé, “Beyrouth-sur-Loire” est signé Pierric Guittaut (Éd.Papier Libre, 2010). Les faits se déroulent aujourd’hui dans une grande ville du Val de Loire, dont la mentalité est plutôt passéiste. Le journaliste Rubert prévient sa jeune collègue pigiste Gaëlle Le Floc’h :“Ici, tout est à l’ancienne, comme tu dis : justice à l’ancienne, morale à l’ancienne, racisme à l’ancienne. Bienvenue dans la France d’il y a cinquante ans.” Les traditionnelles rivalités politiques exacerbées opposent le maire de droite et la conseillère générale de gauche. Au commissariat de police, deux générations de flics sont en présence. Chrétien libanais d’origine, le lieutenant Michel Jeddoun est le plus âgé. Il reste marqué par les tragédies ayant secoué son pays. Grâce aux indics, il n’ignore pas quels sont petits trafics des quartiers sensibles de la ville. Né dans une famille modeste, Antoine Carpentel est un redoutable arriviste.
Le fils du journaliste Rubert est interpellé par la police. Comme ses parents, il se veut militant, défendant la
cause palestinienne contre le sionisme. Quand la jeune Rachel contacte Jeddoun, il estime ne pas pouvoir l’aider. Le frère de celle-ci a été torturé et tué par un groupe de médiocres voyous
vivant dans cette ville. Elle possède la preuve de leur identité, mais personne ne tient à relancer l’affaire. Dans les quartiers nord, des
émeutes incendiaires causent des troubles. Rubert et Gaëlle suivent le dossier, se heurtant à Jeddoun. Signes d’insécurité qui risquent de nuire davantage encore au maire en place, qui a pourtant
bénéficié de moyens pour y faire face. Carpentel, son allié, mène son propre jeu, question de timing et d’opportunisme. La conseillère générale évite de se réjouir trop tôt… Un roman qui prétend
renvoyer dos-à-dos les politiques inefficaces face à la criminalité. Ce polar cumule quelques maladresses et un discours discutable.
C’est dans le Val d’Oise que se déroule une série de quatre romans de Pascal Candia, ayant pour héros des jeunes face à des situations mouvementées autant que violentes. La série débute par “Argenteuil, c’était un accident” (Éd.du Valhermeil, 2007) : Christian est un lycéen de dix-sept ans vivant à Argenteuil. Une nuit, il cause l’incendie accidentel du pavillon familial, ce qui provoque la mort de ses parents. Après son hospitalisation, l’orphelin sympathise avec le commissaire Lambrosi. Celui-ci se montre compréhensif et protecteur. Christian doit habiter chez sa tante, qu’il connaît à peine, et son oncle irascible. Heureusement, leur fille Valérie est amicale avec son cousin Christian. L’assureur Leroy fait preuve d’hostilité, mettant en doute la vérité de l’accident, afin de ne pas payer. Christian s’énerve contre lui, bien que Lambrosi tente de le calmer. Dans la maison sinistrée, l’orphelin récupère un coffret contenant les économies de son père. Mais un inconnu l’agresse, et lui dérobe l’objet. Lambrosi et Christian identifient le voleur, Leroy. Celui-ci s’enfuit, prenant Valérie comme otage. Le policier repère la planque de l’assureur, qui s’échappe. Ayant décidé de ne plus subir, Christian contacte son ami Yvan (dit Attila), un révolté toujours prêt à utiliser la force. Ils pourchassent Leroy, avant de se lancer dans une cavale armée.
Plus fiévreux encore, le deuxième épisode intitulé “Chefs d’œuvre meurtriers” (2007) : Christian et Yvan ont dû se cacher en Espagne, suite à leurs
précédents ennuis. Autant par besoin d’argent que parce qu’il n’oublie pas son amie Valérie, Christian estime qu’il est temps de retourner dans
la Val d’Oise. Arnaud, un chauffeur-livreur ami d’Yvan, leur propose un coup fructueux. Il va transporter en toute discrétion un lot d’œuvres
d’art, dont le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh. Préparée par un certain M. Joshua, l’opération consiste à intercepter le convoi. Puis un commanditaire leur
paiera le pactole, une fois les toiles réceptionnées par M. Joshua. En réalité, ce dernier se nomme Kleiner. Ancien mercenaire, il a l’intention de se débarrasser des trois complices
sans payer. Le braquage effectué, Christian et ses amis (dont Valérie, qui les a rejoints) sont méfiants. La livraison tourne mal : Kleiner tire sur Arnaud, file avec les toiles, tandis
qu’Yvan et Christian doivent fuir. Le bienveillant commissaire Lambrosi espérait retrouver Christian avant qu’il n’aille trop loin. Informé de la
disparition de Valérie et du vol des tableaux, il comprend que son jeune protégé est dans de sales draps. Le Japonais qui a assuré la sécurité du convoi traque, lui aussi, les coupables… La série
se poursuit avec “Danse avec les flics” (Éd.du Valhermeil, 2009) et “Au-delà du périf” (Ed.Régiopolice,
2012). Hier criminels défiant l’ordre, aujourd’hui équipe de l’ombre pour le compte de la justice. Christian Sainclair et Valérie, Attila et Maria-Carmen avaient tout pour mal finir,
mais grâce au commissaire Lambrosi, ils se sont racheté une conduite…
(Le blog de Pascal Candia, ici).
Tout ceci ne constitue qu’une approche très fragmentaire de romans ayant pour contexte la banlieue et ses personnages. Bien évidemment, il existe beaucoup d’autres polars plus ou moins actuels abordant le sujet.
Si quelques titres vous viennent à l’esprit, merci de les indiquer ci-dessous dans les commentaires…