La collection Noir Rétro a réédité un des bons romans noirs d’André Héléna, “Le demi-sel”. Petit voyage dans le temps, retour dans le Paris des années 1950...
Balthazar est un marginal plutôt jeune, un voyou, buveur et peu courageux. Il est six heures du soir. Depuis neuf heures ce matin, son immeuble est surveillé. Pas par la police : “[un flic] n’aurait pas hésité. Il aurait grimpé l’escalier, frappé à la porte et, une main sur son revolver, il aurait exhibé sa carte.” Non, c’est un nommé Bob, complice du truand Scipioni, qui attend que Balthazar sorte. Ses adversaires ont donc retrouvé sa trace. Il n’a pas d’autre choix que d’éliminer Bob : “Le jeune homme leva son automatique, visa soigneusement. Au moment où l’autobus passait sous ses fenêtres, il tira. Il vit l’homme chanceler, porter les mains à sa poitrine, faire deux pas avant de s’écrouler dans le ruisseau.” Balthazar s’enfuit vers le centre de Paris.
Depuis qu’il a tué à juste titre Moreno, c’est déjà un homme traqué. Pourtant, Balthazar n’a pas une âme de criminel, juste de mauvaises fréquentations. La bande de Scipioni est à ses trousses. La police aussi ne tardera sans doute pas à le suspecter, à le pourchasser, estime Balthazar. Le hasard fait que deux autres membres du gang Scipioni sont abattus cette nuit-là. Flics et truands en arrivent à la même conclusion, il n’y aurait qu’un seul tueur. Scipioni s’inquiète : “Tout ce qu’il avait fait depuis deux ans avait été rasé en huit jours, même pas. Il avait eu six hommes sous la main, il lui en restait deux. Les quatre autres avaient été abattus par Balthazar (…) Un demi-sel, rien d’autre. Un petit paumé qui n’essayait même pas de jouer les gros bras. Et il les avait tous mis dans sa poche, cassé la baraque et démoli le gang.”
Le commissaire Barral n’a pas tardé à faire le rapprochement entre Scipioni et cette série de meurtres. Pour le moment, l’Italien réussit encore à se dédouaner. Mais, tant que Balthazar est introuvable, il risque de gros ennuis. Balthazar poursuit sa cavale dans le Paris nocturne. Trouver de l’aide auprès de sa petite amie Gisèle ? Non seulement elle ne mesure pas la situation, mais elle pourrait encore aggraver les choses. D’ailleurs Gisèle ne rime pas avec fidèle. Il y a aussi Simone, cette jeune fille trop tendre que Balthazar protège dans ce bistrot mal famé. Quel miracle un homme aux abois tel que lui peut-il espérer ? Du côté de la bande de Scipioni, René et Nestor s’interrogent sur la suite. Risquer sa peau pour rattraper Balthazar, supposé extrêmement dangereux ? Ou plutôt se confier aux flics, négocier avec le commissaire Barral ? Le destin est en marche…
Le talent de romancier d’André Héléna (1919-1972) fut sous-estimé de son vivant. À l’époque, on le considère comme un besogneux, productif mais peu fiable. Jusqu’en 1955, il est exploité par des éditeurs douteux. Il écrit de nombreux romans, signés de son nom ou sous pseudonymes. Il s’agit d’histoires sombres, ayant pour héros des malfrats médiocres aux destinées fatales. La pègre y est présentée sans concession. Les intrigues sont simples et solides. La narration entraînante évite les fioritures, dans un langage direct. “Le demi-sel” est un des neufs romans de son cycle Les compagnons du destin (1952-53). Un des plus noirs de l’auteur, servi par une narration nerveuse. Son malheureux héros est placé sur une pente fatale jalonnée de cadavres. Il y a peu de chances que s’inverse le cours des évènements, même si l’auteur introduit un mince espoir. Un récit sombre à souhaits et une narration fluide, pour un roman qui méritait d’être réédité dans la collection Noir Rétro, aux éditions Plon.