Francis Zamponi a étudié toutes les facettes d’une manipulation qui n’a pas atteint son objectif : l’affaire Markovic, parfaite illustration des plus sombres combinaisons dont l’état gaulliste était coutumier. “Notre boulot n’est pas de faire éclater un scandale public. Il est de mettre Mazarin [Pompidou] hors-jeu. Lorsqu’il saura que tout a être découvert, il abandonnera la politique en échange de son impunité. Ceux qui nous dirigent n’en demandent pas plus” explique ici le principal organisateur du complot. C’est une reconstitution des faits, sous forme de roman-vérité, que nous présente l’auteur de "69, année politique" (Seuil, 2009).
En 2008, Joseph Cladère - un ancien officier des Services de Renseignements français - est inculpé pour des malversations et incarcéré. Le septuagénaire dispose de sérieux atouts, des éléments remontant à quarante ans. Cladère fut impliqué dans les secrets de l’affaire Markovic. Il fait parvenir à la juge d’instruction, un par un, ses cahiers retraçant la face cachée de ce dossier qui fit scandale à l’époque. Un Yougoslave nommé Markovic est retrouvé mort dans les Yvelines, début octobre 1968. Le jeune policier Rioullens est chargé de l’enquête, avec son collègue expérimenté Parrant. Markovic est domicilié chez le couple d’Alain Delon, dont il est censé être l’homme à tout faire. On ne lui connaît aucune autre activité précise. Rioullens espère que la housse à matelas enveloppant le corps lui offrira une piste, mais c’est improbable.
En coulisse, ce décès donne des idées aux purs gaullistes, qui détestent Georges Pompidou, possible successeur du général. L’ancien premier ministre n’est pas un ex-Résistant, c’est un intellectuel qu’ils trouvent trop conciliant avec les communistes (en ces temps de Guerre Froide). Entouré d’une poignée de “mousquetaires”, Joseph Cladère met en œuvre une manipulation visant Pompidou. Cette “Opération Mazarin” est menée en concertation avec Brulard, patron des Renseignements Généraux. Leur Milady se nomme Monique Darbet. Vaguement attachée de presse dans les milieux artistiques, son rôle consiste à propager des rumeurs. Le journaliste Falleix, du Figaro, est un proche de Pompidou. À Falleix et à son fils, Monique Darbet laisse entendre que les soirées des couples Delon et Pompidou cachaient des partouzes. On utilise même des photos bidonnées pour le prouver. Markovic exécuté pour avoir voulu faire chanter ces hautes personnalités ? Le témoignage de Boris Ackov, un Yougoslave emprisonné, ne convainc pas les policiers Rioullens et Parrant.
La piste de Marcantoni, un truand protégé par ses antécédents de Résistant, ami de Delon, serait plus crédible. Qu’importe la vérité : Cladère fait remonter tous les éléments accablants pour Pompidou, avec l’aide de Brulard. Durant le week-end de la Toussaint 1968, le Général de Gaulle est informé des faits (truqués) et se montre sévère avec Pompidou. D’abord choqués, l’ancien premier ministre et son entourage réagissent bientôt face à la calomnie. Cladère se sert aussi de l’action en justice du frère de Markovic. Pourtant, début 1969, alors que Pompidou se pose ouvertement en successeur de De Gaule, l’opération psychologique s’avère un échec. Cladère veut encore y croire.