Les Éditions du Barbu viennent de créer leur collection Noir Express, en format de poche (consultez leur site). Deux auteurs qui ont déjà prouvé leur talent inaugurent cette collection.
Yvon Coquil : "Docks". Novy Dardoup est enquêteur pour la Société d’Assurance Mutuelle, à Brest. Il est le protégé de Chapot, le patron, car Dardoup fut le meilleur ami de son fils Pierre. Engagé dans l’activisme anar, Pierre est mort lors d’un braquage. Dardoup reste fidèle à sa mémoire. Divorcé, l’enquêteur loge chez ses amis Mathieu et Chantal, au dernier étage du bar Le Maltais. Le patron du bistrot est le champion du traficotage. Petites combines permettant à Dardoup d’être toujours habillé de luxueux costumes, et de changer fréquemment de véhicule. Dardoup a aussi la fâcheuse habitude de faire la tournée nocturne des bars, suivie de réveils éthyliques pénibles. Un incendie sur le Port de commerce. Dardoup est vite alerté. Mais les flics dirigés par Le Gall l’écartent du sinistre. Chapot lui apprend que la SAM laisse la police officielle s’occuper de l’affaire. Il est vrai que Penhors, retrouvé mort dans les décombres, était un courtier respecté du Port de co’. La curiosité de Dardoup l’amène à rôder autour des lieux incendiés. Une Porsche est cachée, bien à l’abri. Il remarque des tags qui peuvent lui donner une piste. Peu après, Dardoup reçoit un appel téléphonique anonyme menaçant. Selon la rumeur, le policier Le Gall et Penhors étaient proches. Les contrôles radicaux organisés chaque mois par le flic dans le secteur du Port gênent Mathieu et ses amis traficoteurs. Même si Chapot le fait monter en grade pour l’acheter, Dardoup continue son enquête parallèle. Alors qu’il a identifié le tagueur Bonzo, ce dernier est découvert noyé. Difficile de croire au hasard. Selon le vieux docker Gaonac’h, Le Gall fricote du louche avec le nommé Louvois, responsable logistique de la société Chic and Chicken. Après avoir été tabassé, Dardoup s’en est remis. Voilà qu’il retrouve son logement saccagé...
Les ambiances portuaires pluvieuses constituent de parfaits décors pour romans noirs. Passionné de culture polar, Yvon Coquil exploite ce climat grisâtre avec une belle réussite. Il met en scène un enquêteur d’assurances aux allures de détective privé traditionnel. Sans cacher la référence à Sam Spade, héros des romans de Dashiell Hammett, incarné au cinéma par Humphrey Bogart. Malgré quelques douloureuses mésaventures, les privés durs à cuire ne renoncent jamais. Voilà qui pourrait servir de base à un très bon scénario de film. En noir et blanc, de préférence. L’auteur nous présente aussi quelques scènes de la vie brestoise, pleines d’authenticité. Le roman noir est aussi un témoignage, Coquil ne l’ignore pas. Ce deuxième roman confirme le qualité déjà remarquée dans “Black Poher” (Prix du Goéland Masqué 2008).
Bernard Leonetti : "0666". Quinquagénaire, Marcel Dupin est détective privé à Laville. Il fantasme sur les héros, agents secrets de roman ou de cinéma entourés des plus belles femmes, qu’il ne risque pas d’égaler. Jouer à être Nestor Burma, c’est déjà ça. Marcel n’est sans doute pas aussi efficace que son collègue Anastase, détective sérieux dont il fut l’employé. Marcel a, quand même, résolu l’épineuse affaire Jason, son unique titre de gloire. En grande partie grâce à l’esprit mathématique de son neveu Édouard, brillant informaticien, il l'avoue. Les clients ne se bousculent pas dans l’officine (c’est ainsi qu’il appelle son bureau) de Marcel. Sabine de Génovis s’adresse à lui, afin qu’il retrouve sa fille disparue, Maribelle, étudiante de 26 ans. Marcel comprend bientôt qu'Anastase a abandonné l’affaire. Le père de la disparue est le patron de la société d’informatique HTC, qui emploie Édouard. Tétraplégique, ne recevant personne, Henri de Génovis reste un cerveau. A-t-on enlevé Maribelle pour viser cette grosse entreprise ? La jeune fille semblant sous l’influence d’un maître à penser, Marcel Dupin imagine l’hypothèse d’une secte. Dans l'appart' de Maribelle, l’ordinateur semble l’unique élément qui importait à la disparue, par ailleurs accro du téléphone portable. Autant de domaines auxquels Marcel est parfaitement hermétique. Un coup de main de son neveu sera le bienvenu. Anastase contacte Marcel. Il parait sur la défensive, conseillant à son ex-enquêteur de se méfier de tout, lui confiant de curieux codes. Édouard explore l’ordinateur de Maribelle. Elle fréquentait un espace virtuel, le Monde d’Henri, sorte de Second Life. C’est comme un club sécurisé où même le code 666, reçu d’Anastase, est insuffisant pour pénétrer. Il faut être connecté avec un portable de toute dernière génération. Marcel se renseigne sur 666, le nombre de la Bête, porteur de tant d’imaginaire assez malsain, symbole de cette idée de secte à laquelle tient le détective. Quant à Mme de Génovis, elle prétend que le Monde d’Henri n’est qu’un divertissement. Se concentrer sur le Monde d’Henri, y pénétrer sous avatar, c’est la bonne solution - mais elle n’est pas sans danger mortel…
Une histoire dont l’intrigue et le climat ne sont pas si ordinaires. Certes, l’auteur attribue à ce brave Marcel Dupin un petit air ridicule. Avec ce minable détective, aussi sympathique qu’incompétent, on commence dans la fantaisie, l’humour farceur. Mais, bien qu’il déplore certains usages actuels, Marcel vit au 21e siècle. Le jargon informatique le dépasse. Toutefois, il possède un bon instinct, celui de l’Être humain. Un Modérateur anonyme qui intervient sur une ligne téléphonique, ou son neveu qui s’enferme pendant deux jours dans un monde artificiel, ce sont des situations qui l'interpèlent. Et c’est ainsi qu’on avance peu à peu vers la noirceur, sur un chemin jalonné de cadavres. Une belle illustration par le polar d’un phénomène programmé, la lobotomisation de l’ensemble de la population.