Né en 1970, Laurent Fétis publia très tôt ses premiers romans, devenant un des plus jeunes auteurs de la Série Noire, dès 1992. Claude Mesplède dit de lui: « Laurent Fétis,
jeune auteur dont les productions se font malheureusement trop rares, figure parmi les plus doués de sa génération ». Deux (courts) romans récents de cet auteur méritent l’intérêt.
“Un grand bruit blanc” (Éd. Mare Nostrum, 2007, Polar Rock n°2). Bien qu’ayant peu de thunes, la blonde
Aurélie (27 ans) et sa brune copine Amandine sont des habituées des soirées parisiennes. Elles sont admises sans problème dans tous les clubs aux ambiances techno électro-rock. Leur ami Phil
propose à Aurélie de dealer un produit stupéfiant, le Trèfle Blanc. Une drogue chère, mais puissante. Krim, le fournisseur, a la réputation d’être un dur. Il cherche des
vendeuses ayant de l‘allure, pour une clientèle aisée. Aurélie accepte, constatant immédiatement que ce Trèfle Blanc plait aux acheteurs. Noir à forte stature, Harry est chef de la sécurité du
club le Kargo. Ayant éjecté un jeune dealer, il est victime d’une expédition punitive. Hospitalisé, le voilà
désormais amnésique et borgne. Il ne reconnaît ni sa famille, ni son patron, mais Harry garde le souvenir très précis de ses agresseurs. “Grand cyclope
éclopé”, il retourne vivre avec son épouse et leur fils. Il éprouve un violent besoin de vengeance, s’équipe pour rôder autour du
Kargo, afin d’y repérer ceux qui l’ont attaqué. Un psy lui conseille de se changer les
idées grâce à la lecture. Harry n’est pas contre, lui qui aime lire à son fils Le Chevalier féerique. Pour
Aurélie, le bizness fonctionne bien, vu qu’elle a l’exclusivité du Trèfle Blanc sur Paris. Sans la désapprouver, Amandine prend un peu ses
distances avec son amante. Harry, lui, apprend qu’il a écrit des romans par le passé… Derrière la futilité des clubs branchés et les glauques
trafics de substances chimiques, les portraits de Harry et d’Aurélie sont d’une subtile précision. Le videur est un écrivain qui
n’a pas persévéré. La “reine de la nuit” perd plus qu’elle ne gagne en écoulant son
produit. Mais leur sombre destin comporte aussi de souriantes facettes.
“Le tacot d’Elsa Lambiek” (Éd. La Branche 2008, Suite Noire n°27). Jacques entame sa dernière année de fac de
Droit à Rennes. Avec ses meilleurs copains Fred et Miguel, ce sont des habitués des fiestas les plus déjantées. Ils ont l’intention de s’éclater à l’extrême durant l’ultime période qui les réunit. Fred, l’intello du trio, est un admirateur des
monstrueux serial killers. Bien que fiancé à la ravissante Sarah, Miguel reste un séducteur impénitent. Quant à Jacques, il a besoin d’un cocktail d’alcool et de
produits stupéfiants pour que la fête soit réussie. Il est attiré par la belle Sophie, qui organise régulièrement des soirées chez elle, mais ne concrétise guère. Une jeune étudiante singulière a
rejoint leurs cours. Belge de la région de Namur, elle suit un programme Erasmus. Elle loge dans une chambre minable chez un vieux pervers, car elle dispose de peu de moyens. Jacques tente de
cerner la personnalité de cette Elsa Lambiek, “une meuf zarbos genre freak” de l’avis général, pas très jolie, mal
habillée, froide et réfractaire à la coquetterie. Malgré tout, Jacques finit par sympathiser avec Elsa. Il l’amène même dans une soirée. Le comportement méprisant
d’un ami de Sophie, Romain, déplait fortement à Elsa. Quelques jours plus tard, elle massacre le cabriolet rutilant du jeune friqué. Gilbert, ami belge
d’Elsa, vient d’arriver à Rennes. Elle ne tarde pas à s’installer avec lui. À cause du provocateur Gilbert, Fred et
Miguel prennent leurs distances. Peut-être pas encore assez… Dans cette “comédie horrifique” sur fonds de nuits de fête et d’excès, Laurent
Fétis nous fait partager (avec une certaine espièglerie) la fascination du héros pour cette jeune femme hors norme. Malgré ce fond de cruauté en elle, Elsa reste attachante par son côté rebelle.
Jusqu’à là, le portrait est nuancé. Avec l’arrivée de Gilbert, amateur de jeux scatologiques, la situation ne peut qu’empirer. La référence aux
films gores, glauques, à prendre au second degré, est explicite. À lire donc comme tel, afin de savourer pleinement.