Les romans courts de Caryl
Férey
Caryl Férey est né en 1967. Avec des romans très forts comme « Haka », « Utu », ou « Plutôt crever », il a acquis une belle notoriété.
Mais on peut aussi apprécier son talent dans des récits plus courts, plus souriants. Par exemple, « Petit éloge de l'excès » (Folio 2€) est un vrai régal d'ironie, en
onze textes. Un bon moyen de découvrir cet auteur. Voici deux autres titres particulièrement réussis de Caryl Férey...
« L’âge de pierre » (Après La Lune, 2006 – «La Maîtresse en Maillot de Bains» n°5)
Tout oppose ces deux frères durant leur enfance. Le cadet qui tarde à grandir, on le prend pour un petit efféminé. L’autre, l’aîné, est un sportif viril, tout en muscles, qui a pratiqué le judo, puis le foot et le tennis. Un compétiteur brutal, étranger à la finesse. Malgré ses aptitudes, il connaît régulièrement des échecs, qu'il attribue à la malchance. L’aîné fait à son jeune frère une réputation de « pédé qui mérite sa branlée ». Il est vrai que les amis du petit sont assez ambigus, un peu trop tendres entre eux. On peut aimer David Bowie en pop-star travestie, avoir des traits féminins, être entouré de tantouzes, tout en étant fortement attiré par les filles. Le genre de subtilité qui échappe au sportif borné. L’aîné est incapable de se concentrer sur les études. Colérique, il fait voler livres et cahiers. Quand ils jouent ensemble, il impose ses propres règles. Tout est prétexte à rabaisser cette mauviette qu'est son frère...
La virilité face à la sensibilité, le muscle contre l’esprit. Le portrait du grand frère, stupide et tyrannique, champion sans cerveau, est un bonheur. Victime
désignée, le petit narrateur se montre bien plus futé.
« Raclée de Verts » (Editions La Branche « Suite Noire » n°14, 2007)
Fanatique des Verts (l’équipe de foot de Saint-Etienne) de la grande époque, Michel habite dans la banlieue stéphanoise. Il vit seul avec son vieux chien Janvion. Interdit de stade, il suit les matches de l’actuelle équipe de Saint-Etienne à la télé. Ce gros supporter raciste n’aime ni les colorés de diverses origines, ni les femmes qui sont toutes nulles. Il se moque d’avoir des amis, les Verts constituant son unique univers. Les soirs de match, l’adrénaline monte en lui. Il profite de cette excitation pour agresser chez elles des vieilles dames qu’il a repérées. Il les identifie aux anciens adversaires de sa glorieuse équipe. Le chien Janvion est son partenaire lors de ces braquages, qui leur permettent de subsister financièrement. Que le butin soit faible ou plus rentable, Michel n'a pas d'états d’âme. Puis il retourne à sa délirante passion. Michel perd soudainement l’odorat. Pas si grave, puisque les Verts gagnent contre Strasbourg. Plus embêtant, il perd aussi le sens du goût. Rien de tragique, pour le moment...
C'est l’ironique portrait d’un solitaire monomaniaque, obnubilé par sa passion jusqu’à l’excès, indifférent au reste du monde, inconscient de sa monstruosité. Rendre crédible cet affreux, sans qu’il inspire la moindre pitié, tel est le pari (gagné) de Caryl Férey.
© Claude Le Nocher