Notre-Dame-de-Grigeac est une tranquille bourgade du Périgord. Âgée de quatre-vingt-huit ans, Mme Gisèle Teillard s'y est installée depuis quelques années. Dans son impasse, elle est entourée de rares voisins, aussi moches et infréquentables que leurs maisons. Il y a l'imposante Christiane et son mari pâlot, ou l'inquiétant vieux Simon établi ici depuis peu lui aussi. La paisible Mme Teillard dans son décor désuet ? Ne pas se fier aux apparences.
Car Minette Galandeau fut autrefois l'égérie, la tête pensante du gang de Maurice, son regretté mari. Avec leurs complices Jeannot et Étienne, le Corse, ils réalisèrent des coups mémorables. Il leur restait un sacré pactole quand on les supprima, les uns après les autres. Sans doute furent-ils butés par une bande adverse, mais on n'en a jamais eu la preuve. Grâce à un flic corrompu, le Poulet, Minette Galandeau passa entre les mailles du filet et se cacha durant plusieurs années au Maroc. Après la prescription, elle est revenue. Avec un paquet de millions qui dorment dans une banque monégasque.
Le pronostic du Dr Granger est tragiquement clair : Mme Teillard est atteinte d'Alzheimer. Mais Minette Galandeau reste encore lucide sur son état de santé. Depuis un cybercafé, elle gère ses comptes bancaires via Internet, et conduit toujours sa Jaguar XK. Elle est contactée par Édouard, son neveu venu d'Amérique, fils de sa défunte sœur avec laquelle elle avait rompu tout contact. Charmant quadragénaire, à l'air plus rital qu'amerloque, le courtois Eddy. Sauf que, si sa tête faiblit un peu, Minette Galandeau n'a pas perdu l'instinct qui fit naguère la force de la bande à Maurice. Elle renifle facilement les entubeurs, et cet Eddy en est un. Le petit interrogatoire que lui fait subir la voisine Christiane Machin va confirmer son impression. Plutôt escroc que flic, à moins qu'Eddy soit un héritier de la banque ennemie qui élimina la leur. La plus grande méfiance s'impose.
Minette invite son “neveu” à s'installer chez elle, afin de voir où il veut en venir. La santé de la vieille dame impose qu'elle soit dotée d'une infirmière, Léonie, bien jolie Antillaise. Alzheimer entraîne un supplément de paranoïa, c'est sûr. Pourtant, elle n'a probablement pas tort de trouver suspect le comportement de Noémie (oui, elle mélange les prénoms). D'autant qu'Eddy et elle semblent un peu trop vite intimes. Pour ne pas s'embrouiller plus que nécessaire, Minette ne se laisse pas gaver de médocs. La mort commence à rôder dans son quartier, en partie à cause du Beretta que Minette a récemment égaré. Puisqu'il lui faut un allié, elle doit s'entendre avec cette raclure de Simon. Quand on connaît le parcours de baroudeur malsain de son vieux voisin, la situation peut devenir explosive. Surtout quand Eddy va, en son absence, fouiller chez Simon, ce qui le rend plus furieux que jamais. Il est temps pour la vieille dame de préparer sa nouvelle cavale...
Sous leurs airs de Tantines à confitures, les vieilles dames indignes font des ravages. Ce n'est pas réellement une “tata flingueuse”, la brave Minette Galandeau. Elle n'a “jamais tué personne ! Un peu aidé, un peu suggéré, un peu entraîné, je ne dis pas. Mais tué de mes mains, non. Eh bien, rien que comme ça, si tout est relatif et si le Paradis est géré par arrondissements, ça me met en bonne place pour la béatification.” N'empêche qu'elle ne renie pas sa vie aventureuse passée, et qu'elle n'est pas prête à céder ses millions au premier margoulin venu. Maîtrise en roublardise et Oscar du bobard, tels sont ses titres de gloire. Et ce n'est pas avec un Alzheimer galopant qu'elle va freiner ses projets. Les neurones en vrac, mais pas encore un pied dans la tombe.
Écrire au quotidien un carnet de bord, un aide-mémoire, ça entretient la tête. C'est ainsi que cette sympathique dame nous raconte ses tribulations. Genre Françoise Rosay face à Gabin dans “Le cave se rebiffe”, la Minette Galandeau. “La conclusion de tout cela, c'est que si je ne me secoue pas les puces, j'aurai les méninges en pâté d'alouette avant d'avoir résolu le mystère, et qu'à l'heure du jugement d'Eddy, c'est une serpillière baveuse qui se trouvera chargée d'exécuter la sentence.” L'auteure n'est peut-être pas Michel Audiard, mais on la sent dans une similaire filiation humoristique. Action et drôlerie s'appuient sur une intrigue confirmée, dans ce premier roman d'Anouk Langaney. Voilà une comédie à suspense diablement réussie, à découvrir absolument.
PolarMania: Même pas morte, d'Anouk Langaney
http://hervesard.blogspot.fr/2013/07/meme-pas-morte-danouk-langaney.html
Hervé Sard a lui aussi adoré ce roman.