L'excès d'enthousiasme et les superlatifs peuvent paraître exagérés à celles et ceux qui consultent les commentaires sur un livre. Pourtant, l’enthousiasme est de mise ici, “Les disparus du phare” méritant d'exprimer sans nuance le plaisir que l'on éprouve à sa lecture. "Excellentissime" n’est pas excessif. Auteur chevronné et productif, récompensé par plusieurs prix littéraires, Peter May nous présente une intrigue exemplaire. D'abord, on entre dès le départ dans le vif du sujet. L'amnésique qui doit retrouver son identité et va bientôt s'interroger pour savoir s'il est un assassin, c'est un postulat assez classique du roman policier. Encore faut-il ne pas embrouiller inutilement les faits, opacifier une énigme déjà complète. L'auteur fait preuve d'une parfaite maîtrise, d'une sacré habileté pour nous inviter à "accompagner" les découvertes de son personnage central. Et il y en aura énormément.
Évidemment, les décors jouent aussi un rôle certain dans le récit. Ces îles écossaises d'une rude beauté, ces villages et ces petits ports traditionnels, ces mystères et ces mythes d'antan (telle "la route du Cercueil") planant sur les populations, tout cela contribue à l'ambiance. Il est aussi question des lobbies de l'agrobizness, producteurs de pesticides et de tant de poisons, dont on n'ignore pas le poids politique et financier international. Que les abeilles soient indispensables à la vie, ils s'en moquent bien. Aspect sociétal qui s'ajoute en toute légitimité à cette histoire criminelle aux multiples péripéties captivantes, et aux dangers encourus par le héros. De la première à la dernière ligne, on se passionne pour ce remarquable suspense : un "coup de cœur" s'impose !
Gunn ne put s’empêcher de poser la question. "Vous pouvez me dire depuis combien de temps il est mort ?"
Le professeur lui lança un regard noir puis reprit l’examen du corps. Il souleva un bras et le plia au coude avant de le lever et de l’abaisser en faisant jouer l’articulation de l’épaule. Il se saisit ensuite de la mâchoire de l’homme qui était suffisamment lâche pour qu’il puisse ouvrir et fermer la bouche sans rencontrer de résistance. Les lèvres paraissaient vaguement enflées. Gunn l’observa ensuite défaire la ceinture du pantalon, descendre la braguette et remonter le pull ainsi que le tee-shirt qui se trouvait dessous pour exposer le ventre.
— L’abdomen présente une teinte verdâtre, annonça le légiste. Et il est légèrement ballonné, probablement des gaz. Ceci dit, il y a de la graisse par-là, et il se peut que le foie soit gonflé. Aidez-moi à le retourner.
Quand il reprend connaissance, il vient d'échouer sur une plage, rejeté par la mer. Il est amnésique, ignorant son identité, n'ayant gardé que des bribes de mémoire. Il regagne le cottage qu'il loue depuis dix-huit mois, retrouve son chien Bran. Une lettre lui apprend son nom et son adresse : Neal Maclean, au village de Luskentyre, sur l'île de Harris dans les Hébrides, archipel à l'ouest de l’Écosse. Un couple d'amis voisins en visite lui donnent de vagues éléments supplémentaires. Neal est ici pour écrire un livre sur la disparition de trois gardiens de phare, sur un îlot des environs, en décembre 1900. Un mystère local devenu mythe historique. Son ordinateur lui apprend qu'il n'écrit aucun livre, en réalité.
Neal se sent tel un fantôme. Sally n'est autre que sa maîtresse. Elle ajoute des précisions, qui ne réveillent en rien les souvenirs de Neal. Depuis qu'il est ici, il fréquente souvent "la route du Cercueil", correspondant à une carte qu'il a trouvée. Sally et lui s'y rendent, et y découvrent dix-huit ruches dissimulées, qui doivent appartenir à Neal. Si sa voiture est au port de Rodel où il l'a laissée, plus de traces de son bateau. Il a probablement coulé, ce qui expliquerait son retour houleux. Peu après, Neal est agressé dans son cottage. Une tierce personne inconnue intervient, chassant l'intrus. C'est sur une des îles Flannan, où se situe le phare des trois gardiens, que Neal pense dénicher des éléments utiles.
Dans la chapelle en ruine de cet îlot, il découvre le cadavre d'un homme tué récemment. Il est incapable de savoir de qui il s'agit, mais peut imaginer l'avoir tué avec violence. S'en retournant en urgence au cottage, Neal trouve une mallette cachée contenant des liasses de billets, des documents sur son passé et son adresse supposée à Édimbourg. Malgré les difficultés, car il va passer pour un fuyard, et payer en billets devient suspect, il se rend dans cette ville afin d'approcher son épouse et sa fille. Mais elles ne le reconnaissent pas. En s'adressant aux archives écossaises, il trouve l'explication : il n'est pas Neal Maclean, ne peut absolument pas être cet homme.
Par ailleurs, Karen est une jeune fille de dix-sept ans arborant un look "gothique". Depuis le suicide de son père, elle se heurte souvent avec sa mère. Celle-ci compte refaire sa vie, le nommé Derek étant déjà son amant avant la disparition de son mari. Karen ressent le besoin d'en savoir davantage sur son père, chercheur dans un institut spécialisé financé par la multinationale Ergo. Elle s'adresse à son parrain, perdu de vue, le meilleur ami de son père. Il étudiait les effets, apparemment sans conséquences sur la nature, de certains produits de l'agrochimie. Mais, peu avant son suicide, il fut viré de cet institut, à cause d'une étude pointue autour des abeilles.
Ayant lu une lettre posthume adressée par son père, Karen quitte son foyer afin de poursuivre ses investigations, de Londres à Glasgow, et plus loin encore. Le cadavre de la chapelle en ruine ayant été découvert, le policier Gunn mène l'enquête du côté de Luskentyre. Il s'intéresse rapidement à Neal Maclean, absent. La propriétaire du cottage, Sally et Jon, la postière, le loueur de bateau, confirment le comportement suspect de Neal ces derniers jours. Obtenir l'autorisation de perquisitionner n'est qu'une formalité, dans ces conditions. De retour sur l'île, "Neal" ne peut échapper aux questions du policier…