Fils d’un père persécuté par la dictature, le commissaire athénien Stavros Nikopolidis est aujourd’hui quinquagénaire. La police n’était pas une vocation, mais il voulait contribuer à davantage de justice dans son pays qui compta tant de flics véreux. Le tavli, jeu de stratégie typiquement grec, participa à sa rigueur intellectuelle. Lui qui fut un brillant policier, est miné depuis dix ans par la disparition inexpliquée de son épouse Elena, archéologue. Le coupable, il le connaît : un certain Rodolphe, mafieux d’origine russe, qu’il n’a jamais réussi à alpaguer. Avec sa grand-mère et son amie Matoula, patronne d’un bar qui est quelque peu son QG, Stavros élève son fils Yannis.
Quant à se soumettre à la hiérarchie, représentée par son supérieur Livanos, c’est hors de question pour Stavros. Surtout quand se produit un crime similaire à celui qui causa la disparition d’Elena, dix ans jour pour jour après. D’ailleurs, le meurtrier a signé son acte à destination de Stavros… c’est bien Rodolphe qui est de retour. Même si on lui impose deux flics moins fiables, son équipe d’enquêteurs va l’épauler avec fidélité. La baroudeuse Dora, le hacker Eugène, et Nikos l’Albanais acceptent les humeurs de leur patron. Ainsi que ses méthodes peu orthodoxes, que Livanos croit pouvoir encadrer. Rodolphe espère faire pression sur le commissaire en s’en prenant à l’ex-prostituée Svetlana, la protégée de Stavros, ou en incendiant le bar de Matoula. Ce qui ne fait que renforcer la volonté du policier de mettre la main sur Rodophe.
Ce mafieux russe s’est spécialisé dans le vol d’œuvres d’art et de vestiges archéologiques pour des commanditaires fortunés. La Grèce est son "terrain de jeu" favori, même s’il a dû s’en éloigner durant quelques années. Ayant cultivé des réseaux secrets, Rodolphe baigne par ailleurs dans toutes sortes de trafics. De son côté, le commissaire a aussi des relations dans les milieux du banditisme. Tel Mikhaïl, un caïd russe se faisant appeler le Tsar, qui peut lui fournir des renseignements et des armes à feu. La lutte entre les deux hommes est engagée, et Rodolphe aurait tort d’aller trop loin en s’attaquant à Yannis, le fils du policier. Stavros tuera son adversaire s’il en trouve l’occasion. Toutefois, pas avant de savoir si Elena est réellement morte ou encore en vie…
Sans un regard pour ce qui l’entoure, tête baissée et regard vide, Stavros s’enfonce dans le dédale de ruelles désertes. Seuls les chats et les étrangers s’aventurent désormais dans ces vieux quartiers d’Athènes autour de Metaxourgieo autrefois remplis de bars, de tavernes et de petits entrepôts. Les murs tagués de slogans antigouvernementaux tombent en ruines, les portes des maisons sont cadenassées pour éloigner les squatteurs, les rideaux de fer des entrepôts sont baissés, et les trottoirs défoncés s’ouvrent, béants, sur des flaques d’eau suintantes. Dans ces bas-fonds, Stravos n’erre pas. Il sait où il va.
Ce “Stavros” est une pure merveille, une perle rare qui frise la perfection. L’harmonie entre les deux facettes du roman noir – intrigue et sociologie – est impeccable. Le regard porté sur le contexte, la Grèce depuis près d’un demi-siècle, s’avère d’une indéniable justesse. Illusoire prospérité d’un pays ayant trop longtemps vécu "à crédit" avant d’être frappé par les réalités de la crise économique. Une cible facile pour les financiers, ainsi que pour les mafieux et leurs trafics. La Grèce, riche de culture et de sites magnifiques, possède de multiples atouts favorables. Néanmoins, elle reste si fragile par tant d’aspects. Sophia Mavroudis aime et respecte ses origines, tout en étant lucide sur les flagrantes faiblesses grecques.
Au centre de l’histoire, Stavros Nikopolidis ne fait rien pour nous apparaître sympathique. Un héros déglingué, plutôt caractériel. Finement dessiné, son portrait nous révèle un personnage nettement plus subtil, avec son intelligence et son instinct, avec ses fêlures et sa détermination. Son vécu l’autorise à se comporter en électron libre, à piétiner des règles trop rigides pour un homme tel que lui. Émouvant et combatif à la fois, belle synthèse. Force et humanisme vont de pair, chez lui. Réciprocité dans la fidélité, élément essentiel dans sa vie, privée et professionnelle. Stavros n’est pas le butor qu’il montre. On espère bien le retrouver dans de futures aventures. Quant à son équipe de policiers, elle ne manque pas de singularités non plus – apportant une touche d’humour au récit. Non sans rappeler que certains flics grecs sont les héritiers de l’idéologie fascisante d’extrême droite. Là encore, les nuances aident à installer l’ambiance.
On est loin d’un polar ordinaire. Mille bravos à Sophia Mavroudis pour “Stavros”. Il n’est pas exagéré de qualifier ce roman superbement construit de puissant, aussi clair que son climat est sombre. À ne manquer sous aucun prétexte !
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