Début 1963. Jourdan est un ancien militaire ayant opéré en Indochine puis en Algérie. Ce baroudeur est devenu un paria, en se mettant du côté de l’OAS. Non par conviction, mais parce qu’il n’a aucun respect pour De Gaulle et le système gaulliste. Se cachant à Paris, il est finalement repéré et arrêté par la PJ. Non sans avoir sauvé entre-temps la vie d’un jeune policier, Norbert Lenz. La toute-puissante DST, les services secrets, prend en charge Jourdan. Mais un commando intervient durant son transfert pour le faire s’évader. C’est le colonel américain Hollyman qui dirige la récupération de Jourdan. Officiellement, Hollyman appartient à la CIA, c’est un officier expérimenté qui connaît déjà le baroudeur français.
Hollyman est un cynique, dans une sorte de tradition familiale qui remonte à loin. Le sexe pervers et le racisme basique, un mépris de la démocratie, telles sont les "valeurs" de l’impitoyable colonel. Il a besoin de Jourdan en tant que tireur d’élite, pour une mission à venir. Tous deux ayant passé la douane pour entrer en Allemagne, le Français ne tarde pas à accepter. Même si les conditions précises de la mission restent encore confuses. Toutefois, Jourdan a bien vite compris qu’on ne met pas en place une pareille opération pour abattre n’importe qui. C’est le politicien le plus symbolique de l’époque qui sera la cible du petit groupe qu’Hollyman est en train de monter.
Âgé de vingt-trois ans, Norbert Lenz est un jeune inspecteur à l’avenir prometteur, que son supérieur soutient avec bienveillance. Au sein de la police, quelques-uns jouent un trouble jeu, au service du gaullisme ou d’autres officines. Lenz et son épouse ont un bébé, ce qui n’empêche pas Denise Lenz de cocufier son policier de mari. Jusqu’au jour où la relation avec un de ses amants tourne mal. Il y aura une enquête, confiée à des flics qui ont (à peu près) la confiance de Lentz. Il se venge, avant de prendre quelques semaines de repos. À son retour au 36 quai des Orfèvres, ses collègues remarquent une dureté nouvelle chez Norbert Lenz. En effet, l’épreuve traversée l’a endurci, et il ne craint pas de grenouiller entre la DST, la PJ, le SAC, le parti UNR. Son but principal reste de faire toute la lumière sur Jourdan et ceux qui l’ont aidé.
Aux États-Unis, le projet meurtrier d’Hollyman commence à prendre tournure. C’est au Texas que se passera l’opération, territoire où les commanditaires du colonel bénéficient de faciles complicités. Jourdan est conscient de ne pas maîtriser tous les rouages de cette affaire et de devoir ne se fier qu’à lui-même. Au Parkland Memorial Hospital de Dallas, une certaine Marina Oswald a besoin de soins et de protection, car son mari Lee est un violent… Quant à Norbert Lenz, c’est avec froideur qu’il ira jusqu’au bout…
Parce qu’il se déroule en 1963, on classerait trop vite ce roman dans la catégorie des polars historiques. Alors que “Rouge parallèle” est un authentique roman d’action, dans la meilleure tradition d’excellence. On trouve ici beaucoup d’atouts favorables. D’une belle limpidité, sans la moindre lourdeur, l’écriture adopte le tempo adéquat afin d’entraîner les lecteurs sur les pas des deux héros, Jourdan et Lentz. À première vue, des personnages opposés, autant par l’âge que par l’expérience de la vie. Pourtant, au cœur de la spirale des faits – marquants pour le monde entier – qui se produisent alors, chacun d’eux va devoir s’adapter. En ces années 1960, l’équilibre international est nettement plus instable qu’il y paraît : la Guerre froide, les tensions entre Cuba et les États-Unis…
Les USA, dont l’hégémonie risque d’être affaiblie par la présidence de JFK ? C’est ce que pensent les partisans d’une politique de fermeté, hostiles à tout changement. En France, le gaullisme règne, berçant d’illusion les citoyens sur "la grandeur" du pays sur la scène mondiale. Sans approuver les opposants (de droite ultra ou de gauche) au général de Gaulle, on sait depuis belle lurette que les arcanes du pouvoir étaient bien plus sombres. La pression sur les médias (par Alain Peyrefitte, ministre de l’information) et sur la police (via le ministre de l’intérieur) était fort peu digne d’une vraie démocratie. Le système mis en place incita sûrement des gens comme Jourdan à dévier vers d’autres voies.
Stéphane Keller s’est parfaitement documenté sur cette époque, restituant ses ambiances. C’est là un autre élément qui crédibilise l’histoire. Quant au suspense, il ne porte pas sur la cible de l’attentat à venir. Dans quelles conditions les faits avancent-ils, et quel sera le sort de Jourdan, celui de Lentz ? Soulignons que la narration n’inclut pas de digression : tout ce qui est décrit au fil du récit possède un sens (par exemple, le comportement de la jeune épouse de Lentz). Les amateurs de polars solides apprécieront ce roman d’aventure impeccable, rythmé par de multiples péripéties, non sans une approche humaine des protagonistes, dans un contexte historique connu. “Rouge parallèle” figure sans nul doute parmi les titres les plus réussis de l’année 2018.