Au fil de la petite histoire nantaise, on peut dénicher des personnages insolites que la postérité a trop vite oubliés, des lieux détruits depuis belle lurette. C’est en priorité ce qui a toujours intéressé le journaliste Mathieu Leduc. Au milieu des années 1990, il n’avait que vingt-huit ans et tissait déjà un réseau de passionnés de l’Histoire oubliée. Pour lui, bien plus captivant que nos époques. Mathieu doit s’avouer qu’il abusait alors des boissons fortes et autres cocktails, pimentés de kétamine pour l’excitation. Amateur de cigares, il fréquentait un exilé cubain, Carlos, et sa filière Havana Art, en ces temps où le régime de Castro était encore redoutable. Mathieu fut accusé d’un meurtre, condamné à seize ans de prison, mais un coup de chance lui permit de se disculper quelques mois plus tard.
Alice était une étudiante malentendante de vingt ans, dont Mathieu ne connaissait pas le nom. Il l’avait surnommée Electra, après l’avoir un jour repérée dans son appartement. Coup de foudre. Cette nuit-là, c’est tout naturellement que Mathieu et elle deviennent intimes. L’ivresse du journaliste facilita peut-être leur contact. Une relation éphémère, mais entre adultes consentants. Peu après, la victime fut découverte poignardée. Des traces de Mathieu, il y en ait partout chez elle. Même s’il s’accrochait à sa version des faits, ça n’aurait pas tenu la route devant n’importe quel tribunal. Qu’il soit un habitué des festives nuits nantaises ne plaidait pas en sa faveur non plus. Un élément nouveau intervint tardivement, une vidéo montrant qu’il avait quitté la victime vivante.
Vingt ans plus tard, Mathieu a quarante-huit ans et il exerce toujours son métier, entre faits divers actuels et archives. Lors d’un concert de musique classique à la Cité des Congrès, dans le cadre de la Folle Journée, plusieurs spectateurs meurent subitement. Tandis que les médias et les réseaux sociaux se déchaînent vite, Mathieu a pu pénétrer clandestinement dans la salle où sont mortes trente-deux personnes. Un attentat au gaz toxique, c’est la première hypothèse qui vient à l’esprit de Mathieu. Ce ne semble pas être la bonne explication. Après avoir écouté des témoins, il cherche sur Internet des affaires comparables du passé. Des fréquences soniques meurtrières ? Il explore aussi le lien entre Nantes et la ville de Lodz, en Pologne, dont est originaire la formation et sa chanteuse âgée qui donnaient un spectacle quand ça s’est produit.
Sans doute n’est-il pas indispensable de remonter au passage du peintre William Turner à Nantes, au 19e siècle, pour obtenir la clé de l’affaire. Néanmoins, se souvenir du petit peuple nantais durant la 2e Guerre, ou de cet acrobate qui se tua en 1925 en sautant du pont-transbordeur, ça permet à Mathieu de cerner un certain contexte…
Le procureur pesait ses mots, ses phrases, éléments de langage qui s’apprêtaient à envahir les réseaux sociaux, la presse. Le cri d’une personne éplorée s’étira longuement dans le ciel. Une femme d’une soixantaine d’années hurlait un prénom anglais, quelque chose comme Watson, mais on ne comprenait pas vraiment. À ses cotés, un jeune homme tentait de la calmer en la prenant dans ses bras.
— L’origine de ces arrêts cardiaques n’a toujours pas été déterminée. Une équipe de médecins est sur place et s’attache à déterminer la cause des décès. C’est la première fois, à notre connaissance, que nous avons affaire à une tragédie de ce type. Pour les familles, en demande de nouvelles de leurs proches, une ligne téléphonique est d’ores et déjà ouverte. Voici le numéro. Une cellule d’assistance psychologique a été également ouverte.
Il importe de comprendre que l’aspect criminel, l’intrigue policière, n’est pas le vrai moteur de ce roman. Certes, à vingt ans de distance, le mystère plane autour d’un meurtre et de décès collectifs suspects en lieu clos. Oui, il y a certainement des réponses. Toutefois, ces affaires ne sont-elles pas à classer parmi les "épisodes" de la vie nantaise ? Voilà quelques décennies encore, le Quai de la Fosse avait une réputation justifiée d’insécurité. Mais Nantes, ce n’est pas que du négatif, du sordide. Collecteur d’archives, Stéphane Pajot le sait mieux que quiconque. Qui ne se souvient de Jules Verne. Mais il y eut aussi des ingénieurs brillants, des peintres maudits, des artistes d’une témérité incroyable. Sortir du néant ces figures d’autrefois est grandement louable, les lieux ayant besoin de mémoire. Quand Stéphane Pajot nous présente – avec une part de poésie – ces facettes anciennes, on réalise que tout cela n’est pas absolument loin dans le temps. Un roman très agréable.