Les Mabille-Pons forment une famille nombreuse. Le père, Charles, est clerc de notaire. La mère, Adélaïde, est infirmière. Des parents ayant toujours refusé d’officialiser un mariage. Ils ont six enfants, les trois premiers étant de jeunes adultes, les trois derniers ont été adoptés. Une telle smala, c’est de l’animation permanente. Ce qui convient fort bien à Rose, vingt-et-un ans, diplômée cultivant un certain décalage sociétal. Animatrice littéraire en salon de coiffure, celui de Vanessa, ce n’est pas commun. Par ailleurs, elle garde un œil sur la tribu. Ce matin-là, il en manque un : Gus, son frère collégien, originaire de Colombie. Très vite, il s’avère que l’ado est en fuite, accusé du braquage d’un bureau de tabac avec deux complices, le propriétaire étant sévèrement blessé. On le reconnaît bien sur la vidéo de surveillance, entre deux types cagoulés.
Ce genre de méfaits, ça ne correspond nullement au caractère de Gus. La gentillesse est son trait dominant, c’est pourquoi il est franchement apprécié de tous. Mais c’est aussi un garçon poursuivi par la malchance, qui a déjà souvent servi de bouc-émissaire dans des situations troubles. Bien qu’il respire la bonté, on le suspecte, on le désigne. La famille est convoquée au commissariat, où on ne leur cache pas que l’affaire du braquage est grave. Ce qui met en fureur Adélaïde, telle un volcan en éruption, qui est depuis toujours rebelle face aux flics. En revanche, Rose se sent attirée par le policier Richard Personne, au yeux si particuliers. Selon la coiffeuse Vanessa, il a plutôt bonne réputation dans le quartier. Et Rose ne le pense pas animé par une vocation de flic pur et dur. Il est prêt à admettre que Gus peut être innocent.
Rose s’est aperçue que leur frère Antoine, venu lui aussi de Colombie, était en contact avec Gus. La jeune femme parvient à rejoindre le fugitif, qui lui donne sa version des faits, assurément crédible. Mais sitôt après, Rose est assommée tandis que Gus est enlevé par des inconnus. Il serait bon que la police s’agite un peu pour le retrouver. À l’heure où son père Charles risque des ennuis avec son employeur, le notaire, Rose en vient aux vieilles méthodes : elle distribue des affichettes pour un appel à témoins. Entre les indifférents et les soupçonneux chroniques, le résultat n’est pas garanti. Au salon de coiffure, la clientèle est dans le camp de Rose. Sauf quand se pointe l’épouse du notaire, patron de Charles, ce qui s’achève en pugilat. Si Rose est hospitalisée, pas de lien direct. Partageant sa chambre avec un centenaire moribond, elle a ses propres problèmes de santé à régler.
L’hôpital, c’est le royaume de sa mère, ce qui ne signifie pas que Rose s’y trouve bien traitée. D’autant qu’Adélaïde a laissé des consignes, afin que le policier Richard Personne ne puisse pas approcher sa fille. Tandis que sa sœur Camille vaque à ses amours, Rose ne renonce pas à retrouver le pauvre Gus, avec l’appui de sa famille…
Un silence présumé coupable s’abat sur la chambre, entrecoupé des reniflements d’Adélaïde et du va-et-vient des policiers dans le reste de la maison. Minute de calme avant l’ouragan qui s’annonce. Je vois ma mère reprendre progressivement des forces dans le bras de mon père. Et vice versa. C’est quelque chose que j’admire profondément chez eux, cette façon de faire front devant l’adversité, quoi qu’il advienne, comme deux sémaphores en pleine tempête. À mon tour de verser une larme. Merde, voilà que je tombe dans la sensiblerie, maintenant !
En une dizaine d’années, Marin Ledun est devenu une valeur sûre du polar, du roman noir, et ce n’est que justice. Bien sûr, plusieurs prix littéraires ont souligné ses qualités d’auteur. Mais ce sont avant tout les lecteurs qu’il est parvenu à convaincre, avec des intrigues très sombres, et son regard acéré sur la société. Une bonne histoire n’en est que meilleure quand l’auteur y apporte sa tonalité. C’est d’autant plus convaincant quand la souplesse narrative est au rendez-vous, comme dans cette "comédie policière". On peut alimenter la tension en faisant sourire, sans être obligé de dramatiser à l’excès. Ce que nous démontre ici Marin Ledun, avec tout le talent qu’on lui connaît.
Belle succession d’aventures pour cette famille pas si ordinaire. Cela n’empêche pas de glisser des remarques bienvenues sur notre époque et ses travers. Ni de rappeler que même la littérature classique peut offrir une part de plaisir, y compris à des publics qui aiment en priorité le rock dur, telle Rose. Si le titre du roman est emprunté aux Bérurier Noir, la jeune femme n’en est pas moins romantique. D’ailleurs, cette histoire est pleine d’amour, ce que traduit également la solidarité familiale. On prend un immense plaisir à suivre ces multiples péripéties, fort drôles, une facette de l’inspiration de Marin Ledun qui séduit franchement. À ne pas manquer !
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