De 2013 à 2015, Bernard Petit a été directeur des services de la préfecture de police de Paris, autrement dit patron du 36 quai des Orfèvres. Après sa formation d’officier de police, il débuta en 1978 comme inspecteur dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Dès 1986, il entra dans la haute administration de la police, à l’OCRB (Office central pour la répression du banditisme). Ce qui n’excluait pas sa participation aux opérations sur le terrain, dans plusieurs affaires. Au fil des années, Bernard Petit a gravi les échelons de la hiérarchie, occupant des postes à responsabilité, le grand banditisme restant l’objet de ses missions la plupart du temps. Devenu patron du 36, il va être confronté aux attentats visant Charlie Hebdo, puis l’Hyper Casher. S’il n’est pas seul à gérer la situation, Bernard Petit en prend sa part. Malgré la tragédie, un certain succès pour les autorités.
Quelques semaines plus tard, Bernard Petit est mis en accusation dans une affaire qui paraît plutôt nébuleuse, et débarqué de son poste. Dans ces fonctions, au-delà de simples rivalités de personnes, il existe toujours un aspect politique. Bernard Petit estime avoir été la bête noire des sarkozystes au sein de la police. Il a parfois été mis en garde contre les attaques potentielles émanant des cercles politisés, lui qui affirme observer une neutralité en la matière. Personne n’est naïf dans ces milieux policiers, à ce niveau : après trente-cinq ans de carrière, ignorait-il que c’est d’un vrai panier de crabes dont il s’agit.
Des cas problématiques, il en a connu entre-temps : une Canadienne de trente-quatre ans a accusé des policiers de la BRI de l’avoir violée dans leurs locaux, où on semble souvent faire la fête ; en juillet 2014, cinquante-deux kilos de cocaïne sont dérobés dans la salle des scellés de la brigade des Stups. Incroyable vol qui choqua l’opinion publique, puisque le coupable ne pouvait qu’être un policier ayant accès à cet endroit. À la tête de la police française, nul n’est évidemment impliqué dans ces dysfonctionnements virant au faits divers. Mais les accusations, pas forcément publiques, de laxisme ne tarde jamais à cibler des hauts-fonctionnaires, surtout quand ils sont peu appréciés politiquement.
La carrière de Bernard Petit ne se résume pas à cet ultime étape, qui lui valent de lourdes accusations – ce dont le public n’a pas à juger, faute d’informations. Il relate aussi sa participation à quelques affaires autour du grand banditisme. Pour des raisons électoralistes, le "sécuritaire" de base est mis en avant, traquant les dealers et les gangs qui polluent la vie quotidienne des Français. C’est oublier qu’au sommet, ces réseaux sont dirigés par des caïds se situant aux marges de la légalité – plutôt à l’extérieur. Marseille est, de toute époque, la plaque tournante et le centre de ces organisations mafieuses. On nous raconte comment, en 2010, tombèrent plusieurs des chefs mafieux, à l’occasion d’une opération menée avec la plus grande discrétion pour éviter les fuites.
Dans les services auxquels il collabore durant sa carrière, ce sont les "gros poissons" qu’il s’agirait d’attraper. Pas facile quand on vise des gens tels que Michel Tomi, considéré comme l’empereur des jeux et des casinos en Afrique de l’Ouest, sexagénaire richissime qui semble à l’abri des multiples poursuites que mériteraient ses activités. La Françafrique et ses dossiers hautement sensibles ! Plus proche du terrain, pas simple non plus pour l’OCRB d’alpaguer le truand belge Patrick Haemers. Si la coopération franco-belge ne fonctionne pas trop mal, il faut compter avec les complices de la bande d’Haemers, sur la mobilité de ces malfaiteurs qui savent que bouger est leur meilleur atout.
Beaucoup de moyens sont accordés à la lutte contre les trafics de drogue et contre le grand banditisme. Parmi ceux qui dirigent les services de police dédiés, Bernard Petit a fait partie de ceux qui espéraient davantage de résultats. Toutefois, une certaine confusion règne dans la manière de s’attaquer aux "gros bonnets". Avec des rivalités entre Douanes et police, comme en juillet 2015, quand un camion contenant sept tonnes de résine de cannabis stationné dans Paris est au centre d’un pataquès. L’OCRTIS tentait un coup de filet, semble-t-il, mais peut-être le secret de l’opération cachait-il autre chose ?
Dans ce genre de livres, l’auteur raconte "sa" vérité. Sans doute Bernard Petit le fait-il ici avec une bonne dose de sincérité. Le public n’est pas apte à démêler certaines facettes de ces affaires touchant l’élite de notre police. En revanche, l’aspect le plus intéressant, c’est la description "en interne" de ces sphères, par le vécu du narrateur. Et puis, il est question de dossiers remontant à ces dernières décennies, délinquance financière ou banditisme, et ce qui contribue au blanchiment des sommes phénoménales des trafics de drogue. On est là dans le concret, autour de ceux qui tiennent en main ces réseaux mafieux. Les efforts et les initiatives ne manquent pas dans les services de police concernés, mais c’est bien moins médiatique que des règlements de comptes et autres affaires de petits dealers.
Un témoignage sur la police d’aujourd’hui, qui nous fait entrer dans des milieux opaques. Une manière pour les citoyens d’aller quelque peu au-delà des infos ordinaires, d’essayer de comprendre des questions de notre temps.