Toulouse, au tout début des années 1920. Encore récente, la Grande Guerre a profondément marqué cet inspecteur de police. Sans doute parce qu’on lui confia des missions hors normes. Il ne soigne guère son aspect, ne cherche pas à sympathiser avec ses collègues, abuse des boissons alcoolisées, et c’est un habitué du bordel de chez Lulu. Surtout, il a besoin de morphine pour effacer les visions d’horreur qui le hantent. L’école vétérinaire est une des institutions toulousaines. Le Professeur Chervin, un des enseignants, vient de s’y suicider dans son bureau. L’inspecteur se rend sur les lieux, et interroge les premiers témoins. Selon le concierge et le surveillant, Chervin n’était pas très liant avec les autres. Guignard, le directeur de l’école vétérinaire, est peu coopératif, pressé que l’inspecteur boucle une enquête inutile.
Rue Monplaisir, la mort de l’huissier Raynal apparaît assez suspecte à l’inspecteur. Des voisins ont signalé des cris, et vu une silhouette s’enfuir. Pourtant, le Dr Millot n’a constaté qu’une crise cardiaque, et signé le certificat de décès. L’absence de l’employée de maison permet au policier de comprendre rapidement les faits réels. C’est dans la chambre de celle-ci que s’est déroulé le drame, impliquant son fiancé, André Pluni. Pas insensible à la veuve Raynal, l’inspecteur est prêt à relativiser l’affaire, si le Dr Millot se montre compréhensif en lui prescrivant ce dont il a besoin. Du côté de l’école vétérinaire, l’adjoint de Chervin masque mal l’antipathie que lui inspirait son collègue. Ce Cavaignac jalousait sa carrière, car il était aussi compétent que lui.
L’inspecteur fraternise tant soit peu avec les étudiants de 4e année, les praticiens. Tous sont des anciens combattants, ayant repris leurs études, mais il est difficile de gagner leur confiance. Parmi eux, André Pluni, sur lequel l’inspecteur fait pression. Néanmoins, le policier est conscient qu’à “Toulouse la menteuse”, personne ne lui a dit la vérité dans ces deux affaires. Et ce n’est pas sa hiérarchie qui le soutiendra, pas plus que son collègue Durrieu qui hérite de ses enquêtes. Pourtant, le document Secret Défense que l’inspecteur a découvert dans le coffre-fort mural de Chervin est capital. Et il faudrait savoir pourquoi une société immobilière fit don d’un riche appartement au même Chervin. Peut-être que les fantômes qui obsèdent l’inspecteur vont l’empêcher de faire toute la lumière sur des morts suspectes…
Droit et franc, le toubib. Pas froid aux yeux. Il se sait coupable, mais il est convaincu de n’avoir rien fait d’immoral. Contre la loi peut-être, mais pas contre sa conscience. Je ne suis pas loin de partager son point de vue.
— Vous savez ce que vous encourez ? Outre que vous serez radié de l’Ordre des médecins, vous passerez devant un tribunal. Dissimuler un meurtre relève du pénal. Vous risquez entre cinq et dix ans de prison.
Le stoïcisme du médecin est ébranlé. Il n’imaginait pas que les événements prendraient une telle tournure. La nuit dernière, il était tiré du lit par un coup de téléphone affolé. Douze heures plus tard, il se retrouve face à un policier qui lui promet un avenir passablement compromis. Davantage que le regret, c’est la disproportion qui l’assomme. Ses lèvres tremblent, des larmes poussent dans l’encoignure de ses petits yeux ronds, un peu à la manière de deux bulbes au printemps. Étonnant. Il les répriment aussitôt puis me regarde bien en face. Il attend le coup de grâce.
Dans un premier roman, “Les Chevelues” en 2008, Benoît Séverac évoquait la période gallo-romaine. L’année suivante, il utilisa un contexte plus contemporain. À travers les personnages et les ambiances, il évoque fort justement cette époque suivant la 1ère Guerre Mondiale. Peut-être anticipe-t-il un peu la popularisation du jazz en France, qui avait alors plutôt adopté le charleston, mais il est vrai que cette musique était arrivée chez nous avec les soldats américains. Quant à l’idéal patriotique exacerbé de certains face aux anciens combattants désabusés, ce fut bien le cas. La politisation de l’Entre-deux-guerre joua sur beaucoup sur les sentiments patriotes et guerriers, on le sait.
Au cœur de l’intrigue, un inspecteur de police presque anonyme, moralement détruit, déjà en survie, cherche une vérité qui n’intéresse personne autour de lui. Bel exemple de héros solitaire, qui ne suscite pas la compassion ou l’apitoiement du lecteur, mais que l’on suit en espérant qu’il ira le plus loin possible dans ses investigations. Maîtrisant la progression du récit, l’auteur parvient à nous captiver, entretenant noirceur et suspense, autant sur les décès actuels que sur le passé de son policier. La tonalité personnelle de Benoît Séverac s’affirmait dans ce “Rendez-vous au 10 avril”, un roman à découvrir désormais en format poche.
Benoît Séverac : Trafics (Éd.Pocket, 2017) - Le blog de Claude LE NOCHER
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