En ce mois de novembre, autour de la Saint-Martin, le commissaire Soneri quitte Parme pour s’offrir une villégiature dans son village natal dans les montagnes des Apennins. S’y promener en cueillant des champignons, voilà son programme. À peine installé à l’auberge locale, Soneri réalise qu’il ne fait plus vraiment partie de cette communauté. Certes, on le connaît et on se souvient bien de son père, mais l’ambiance est différente. Plus tendue depuis que circulent des rumeurs sur la famille Rodolfi, dont l’usine de charcuterie est la seule industrie du village. Paride a succédé à son père Palmiro à la tête de l’entreprise, mais il n’a pas le même contact avec les habitants, se montrant peu. Sans doute parce que Palmiro est un ancien résistant, il a pu bénéficier de la confiance des gens, favorisant l’essor de l’activité charcutière.
Officiellement, Paride est simplement absent, ce qui est annoncé par voie d’affiches. Les témoignages sont contradictoires à son sujet. Ce jour-là c’est son père Palmiro qui semble s’être égaré lors d’une balade en forêt avec son chien, à cause d’un brouillard dense. Le massif de Montelupo, Palmiro le connaît pourtant parfaitement. D’ailleurs, après qu’aient été lancées des recherches, le disparu rentre chez lui. Mais, dès le lendemain, on le trouve pendu à une poutre d’un hangar. Un suicide qui rappelle aux villageois celui d’un ami de la génération de Palmiro, un commerçant ruiné. Autrefois, ces deux-là formaient un trio avec un autre habitant d’ici, que l’on nomme Le Maquisard. Authentique résistant, ce dernier continue à vivre pauvrement avec sa famille dans une masure en montagne. Chercher à s’enrichir n’a jamais fait partie de ses projets.
Le commissaire Soneri sympathise avec un adjudant des carabiniers, assez malin pour laisser le gradé qu’on leur envoie se dépêtrer face au cas Rodolfi. Selon certains témoins, la situation financière des industriels était plus sombre qu’on pouvait le penser. Ce que va bientôt confirmer Angela, la compagne de Soneri, qui s’est procurée des renseignements de son côté. Un sacré imbroglio, qui incite les banques à réagir. Quand le commissaire découvre un cadavre dans une ravine, il essaie encore de ne pas être trop impliqué dans l’enquête. Attribuer cette mort aux braconniers chassant les sangliers en montagne, où à ces trafiquants rôdant depuis quelques temps dans les parages, ce serait sûrement trop facile. Ce pourrait être l’œuvre du Maquisard, avec lequel Soneri a beaucoup de mal à entrer en contact. C’est la piste que suivront les carabiniers.
Dolly, la chienne des Rodolfi, a adopté le commissaire. Ils parcourent ensemble les décors des environs, tandis que Soneri s’interroge sur son propre père, qu’il a finalement mal connu. On a arrêté un voleur, qui n’est sûrement pas l’assassin. Les carabiniers tentent de traquer Le Maquisard, ce qui provoque des échanges de tirs dans la montagne. Coupable ou pas, le vieux bonhomme est sur son terrain…
Soneri accepta sans un mot et s’engagea dans le sentier, accompagné de Dolly, qui courait encore derrière lui. Elle était devenue son ombre et cela l’inquiétait. Il ne voulait pas que la chienne s’attache trop à lui. Elle avait déjà perdu son maître, et il n’avait pas l’intention de lui infliger un autre deuil. Ni de se faire du mal, vu que cet animal lui était sympathique. Avec les bêtes, il se comportait comme avec les personnes : il essayait depuis toujours de se protéger de la souffrance. Il ruminait ces pensées en dévalant le sentier sans prendre garde aux obstacles qui entravaient parfois le chemin. Dans une sapinière, dont les branches touffues retenaient la nuit, il faillit heurter une patrouille de carabiniers qui montaient à Pratopiano, chargés d’équipements et essoufflés. Il se rangea sur le côté pour les laisser passer et ressentit soudain comme un nœud à la gorge, une angoisse accablante et poisseuse.
Le commissaire Soneri étant avant tout un observateur à l’œil bienveillant, il ne faut pas s’attendre à des enquêtes au tempo vif et aux péripéties spectaculaires. On est ici dans la tradition du roman policier où le flic se doit de comprendre, de cerner les individus, et non de juger. Un état d’esprit humaniste le guide, l’aspect répressif de son métier le rebutant. S’il pensait retrouver une part de son identité personnelle dans son village d’origine, ce ne sera pas tellement réussi. Les paysages ont peu changé, toujours pittoresques. Toutefois, même si règne là une prospérité apparente, l’humeur de la population est plus grinçante. Évolution d’un petit monde qui, comme partout, a perdu certains repères, et qui a gâché également ses valeurs. Dans ces montagnes, on se flatte d’avoir résisté au fascisme et au nazisme. À part Le Maquisard, qui respecte encore une liberté sans entrave ?
L’argent qui offre le confort n’est nullement méprisable. Par contre, il entraîne chez bien des gens une avidité malsaine, l’espoir de gagner toujours davantage sans s’interroger sur des placements douteux ou sur une arnaque à la confiance. Des combines qui, selon comment elles tournent, engendreront des rancœurs, des railleries et des rumeurs. Même un village supposé tranquille n’est pas à l’abri de ces situations. L’idéologie dominante n’est plus politique, mais financière. Cet aspect sociétal autant qu’économique, Soneri en est témoin. L’âme humaine est souvent désespérante, hélas. Cette atmosphère suscite une bonne dose de mélancolie chez lui. Un roman riche, impeccable, développant tout en finesse une intrigue absolument crédible.
Valerio Varesi : La pension de la via Saffi (Agullo Éditions, 2017) - Le blog de Claude LE NOCHER
Le commissaire Soneri est en poste à Parme, dans le nord de l'Italie. Voilà quinze ans qu'il est veuf d'Ada, son grand amour. Son amie intime Angela ne la remplace pas, même si le policier et el...