Cécile est âgée de vingt-sept ans. C’est la fille d’un défunt musicien de jazz, qui a fini dans la dèche. De santé précaire, Cécile ne manque pas d’énergie dans ses activités sociales. Elle est employée par le Samu social. Toutefois, les maraudes nocturnes commencent à lui peser, aussi va-t-elle sans tarder changer de job. Prendre en charge les miséreux, même si c’est quasiment une vocation, c’est souvent être confronté à des situations compliquées. Et ça limite la vie sociale personnelle. Copiner avec Fifi d’Anvers, c’est sympa mais ça ne débouchera évidemment pas sur une relation intime. Il y a bien ce flic, Steve Legrand, avec lequel elle est en contact, mais elle est réticente quant à son métier.
Changeant d’association, Cécile va se consacrer aux biffins. Il s’agit de ces vendeurs en tous genres qui étalent leur marchandise – sans grande valeur, souvent – à côté des puces de Saint-Ouen. C’est le quartier où elle habite avec sa coloc. Ces biffins se sont organisés. Le rôle du groupe de Cécile est de veiller à la paix sociale dans ce carré. Parmi eux, on trouve des sans-papiers à régulariser et autres sujets relevant des services sociaux. Telle cette Nadia, plus toute jeune et très malade. Il y a aussi des personnages insolites, comme l’orateur Lothaire. Tout ce petit monde est globalement plus calme que ce qu’elle a connu jusqu’ici. Presque trop routinier et mollasson à son goût, d’ailleurs.
Par ailleurs, Cécile s’interroge sur la mort d’un sans-abri, Samouraï, un ami de Fifi. Il se peut qu’il ait aperçu un pyromane ayant récemment incendié un hôtel du secteur. “On sait comment ça se passe à Barbès. Les habitants ne veulent pas lâcher leurs logements, alors les proprios leur balancent des rats dans les couloirs, déversent des poubelles dans les escaliers, cassent la gueule à ceux qui s’accrochent.” Malgré tout, rien ne prouve que cet incendie ait été volontaire. Fifi d’Anvers s’est renseigné sur le passé de Samouraï, qui fut militaire en Afrique. Pourtant, une vengeance paraît improbable, car c’est d’une overdose – provoquée ou pas, jamais facile à déterminer – dont est mort Samouraï.
Cécile se demande si elle a trouvé le grand amour, avec ce technicien en informatique qui opère dans le quartier. “C’est pas le gars compliqué, genre à se poser des questions sur sa capacité à faire jouir.” Néanmoins, côté sentiments, Cécile est quelque peu complexe. Elle continue à suivre le cas désespéré de Nadia, et à vouloir comprendre la mort suspecte de Samouraï…
Je passe la matinée à repérer les sauvettes qui se glissent régulièrement dans le carré. Il faut les prendre par le bras et les écarter gentiment. En fait, ils sont tous dans le même bain, mais certains ont la carte et d’autres pas. Les vendeurs à la sauvette sont plus jeunes que la moyenne des biffins du carré. Ils emballent leur matos dans un carton ou un drap sale et sont capables de disparaître en trente secondes chrono. Les filles préfèrent s’installer en dehors du carré pour éviter l’évacuation. L’une d’elles, une Asiatique, a noué ses cheveux en chignon, et son peignoir en éponge, composé de carreaux noirs et blancs, glisse sur son sein droit. Deux allumés roumains assis de l’autre côté de la travée sont comme hypnotisés par le mamelon offert. Elle relève la tête et tire vivement sur son vêtement. Un peu plus loin, une femme de soixante ans au bas mot a compilé une dizaine de sacs-poubelles éventrés dans lesquels sa vie fermente dans l’odeur de frites et de sardines avariées. Mais comme elle n’est pas du quartier, je laisse glisser. Je ne suis pas la brigade d’intervention, faut pas confondre.
On le sait, Marc Villard est un des plus grands experts en matière de nouvelles. Il excelle tout autant dans le roman court. Car son écriture précise fait mouche, évacuant les détails parasites pour ne retenir que le cœur palpitant d’une histoire. Ce qui ne l’empêche pas d’évoquer aussi finement les états d’âmes sentimentaux de son héroïne, que le curieux petit univers de ces biffins vivotant en vendant toutes sortes de produits, dont l’origine peut s’avérer douteuse. C’est le portrait de cette population, à la marge de notre société, qu’il met en évidence, sans jugement ni complaisance. Quant à l’aspect polar, il concerne les mystères autour de l’incendie d’un vieil hôtel, rue Polonceau. Les règles du genre sont respectées, avec une belle maîtrise là encore. Un roman court, certes, mais ne manquant pas d’une densité certaine. Jolie réussite à l’actif de Marc Villard.