Été 1947, à Hollywood. Billie Dixon est une jeune femme brune venue du Texas. Elle se verrait bien scénariste, mais reste consciente que le monde du cinéma n’est ouvert qu’à une poignée de personnes. Elle a accepté un job pour la Producers Releasing Corporation, une société produisant des films de série B. La PRC assure la distribution de ses films grâce à des gens comme Billie, sillonnant les Etats-Unis pour vendre leurs produits. Pas de stars à l’affiche, mais des scénarios suffisamment distrayants pour plaire au public des cambrousses américaines. C’est ainsi que Billie arrive dans l’Arkansas, dans la région des Ozarks, à Stock’s Settlement. Dans cette bourgade de quelques centaines d’âmes, on ne va guère au cinéma. Très influent, le pasteur Obadiah Henshaw y a mis son veto.
Héros de la guerre du Pacifique, dont il est revenu aveugle, l’homme d’Église prône une intransigeante moralité. Alors que le cinéma est le vecteur de tous les vices, selon lui. Il ne fait pas exception en recevant Billie, rageant contre les films. À cette occasion, Billie est immédiatement fascinée par Amberly Henshaw, la magnifique épouse du pasteur. Si l’homosexualité est réprouvée par la loi, Billie n’a aucun mal à se trouver des compagnes d’une nuit quand elle réside à Los Angeles. Il existe des clubs assez discrets où elles se rencontrent. Qu’on l’ait baptisée William, qu’elle transforma en Billie, n’explique pas forcément cette attirance sexuelle pour les femmes. Amberly et elle deviennent bientôt intimes, l’épouse du pasteur se confiant sur sa vie – qu’elle n’a pas vraiment choisie.
Une autre femme de Stock’s Settlement impressionne Billie. Lucy Harington fait office de shérif ici, même si c’est son frère Eustace – déficient mental – qui occupe le poste. Elle ne manque pas de caractère, Lucy. Pour éviter une situation malsaine et compliquée, Billie va retourner rapidement à la PRC. Sans jamais cesser de penser à Amberly Henshaw. C’est ainsi que, quelques semaines plus tard, Billie revient dans l’Arkansas. Il semble que le pasteur souhaite avoir une conversation avec elle. En réalité, Obadiah Henshaw se montre très violent, exigeant même que Billie assassine son épouse, la menaçant de gros ennuis. Dès le lendemain, sur le chemin de l’église, il se produit un accident de voiture mortel : Billie renverse le pasteur. Bien qu’un peu approximative, sa version des faits est crédible.
Sans doute la shérif sans titre Lucy Harington a-t-elle envisagé une autre possibilité. Tant qu’elle ne découvre pas le rondin de bois avec lequel Billie a achevé le pasteur, tout va bien. Et puis, d’une certaine façon, Billie est "adoptée" par les paroissiens et bénéficie de la clémence générale. Elle ne doit cependant pas s’attarder à Stock’s Settlement. Mais elle ne partira pas seule, pour ce long trajet de retour vers Hollywood. Qui ne va pas du tout se dérouler comme Billie pouvait l’espérer. Elle n’en a pas fini avec l’Arkansas…
En entendant mes pieds frotter sur le plancher, [le pasteur] dit :
— Cela ne sert à rien de courir. Si tu t’enfuis, je dirai ce que tu as fait. Il te sera impossible de quitter l’État avant qu’ils t’attrapent. La dépravation sexuelle n’est pas seulement un péché, tu sais, c’est un crime. Et Amberly ne prendra pas ta défense. Je te le garantis. Elle dira que tu l’as immobilisée, que tu l’as forcée. Que tu lui as infligé de mauvais traitements avec… avec quoi ? Une brosse à cheveux ? Ouais, je ferai en sorte qu’elle dise ça. Une brosse à cheveux. Réfléchis. Hollywood, fini. Le travail dans le cinéma, fini. Ton portrait à côté d’une photo d’une brosse à cheveux dans le journal et une longue peine de prison au pénitencier d’Eastgate. Si j’étais du genre à faire des paris, je parierais que les gardes là-bas se relayeront pour te sauter pour que tu renonces à ton vice. Ce genre de choses à prouvé son efficacité, dans le passé.
Qu’il est délicieux de lire un authentique roman noir, digne de la plus pure tradition ! Jake Hinkson connaît ses classiques, nous présentant là une remarquable intrigue. L’époque qu’il choisit, l’après-guerre, s’y prête à merveille. Le conformisme est la règle, s’appuyant sur un strict puritanisme d’inspiration religieuse. Le maccarthysme sévit à Hollywood. Être communiste ou être lesbienne, telle Billie, c’est à peu près aussi condamnable. Il est bon de préciser que la société PRC, qui sera rachetée et rebaptisée Eagle-Lyon, exista réellement. Elle faisait partie de ces studios sans prestige surnommés "poverty row", ne produisant que des films à petits budgets, diffusant ses films comme montré ici. Pourtant, PRC eut de bonnes réalisations à son actif, tel l’excellent “Detour” d’Edgar G.Ulmer, d’après le roman de Martin M.Goldsmith (Éd.Rivages, 2018).
Le décor principal, c’est un village rural, là où s’arrête le Midwest et où commence le Sud. Billie Dixon était prévenue : “Plus on s’enfonce dans les Ozarks, plus les gens deviennent bizarres… Ces péquenauds de l’Arkansas, ils sont méchants comme des teignes.” Dominé par son "Église baptiste du tabernacle racheté par le sang", c’est un endroit typique de l’Amérique profonde. Toute forme de modernité y est bannie, puisque fatalement inspirée par le Diable pour détourner le bon peuple de la Foi. Sans oublier que le patriotisme y est une valeur majeure, la 2e Guerre Mondiale étant terminée depuis peu. Mais Billie, si elle supporte au début les invectives du pasteur, n’est pas du genre à se soumettre à ses injonctions furibardes. Très beau portrait d’une femme assumant son libre-arbitre.
On peut affirmer que “Sans lendemain” est un des meilleurs polars noirs de l’année.
Jake Hinkson : L'homme posthume (Éd.Gallmeister, 2016) - Le blog de Claude LE NOCHER
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http://www.action-suspense.com/2016/02/jake-hinkson-l-homme-posthume-ed-gallmeister-2016.html
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