Dans le Mexique actuel, ce quatuor de quadragénaires se connaît depuis leur adolescence. À l'époque de leur scolarité, ils se surnommaient les Bleus. Il y avait Jaime Lemus, élevé dans une famille aisée, fils de Don Carlos Lemus, magistrat lié à la politique. Désormais, Jaime est responsable d'un service de sécurité d’État qui fait le lien entre le Mexique et les Américains. Il y avait Mario Crespo, le plus neutre des quatre mais le plus fidèle en amitié depuis ce temps-là. Il est devenu prof, s'est marié avec Olga, formant un couple normal. Leur fils Vidal est un passionné d'informatique. Il y avait Tomás Arizmendi, qui aurait pu devenir un brillant journaliste, mais qui a plutôt suivi la spirale de l’échec.
Et puis, il y avait Amelia, au centre du groupe des Bleus. La rebelle et cultivée Amelia, si attirante pour Jaime et Tomás. Elle est devenu la présidente d'un des partis politiques d'opposition. Non pas qu'ils aient un poids contre le PRI, qui gouverne quasiment sans discontinuer depuis des décennies. Néanmoins, le parti d'Amelia et celui du sénateur Ramiro Carmona peuvent représenter un contre-pouvoir. Quand ils étaient ados, Don Carlos initia les quatre amis à la politique, en prenant exemple sur “1984” de George Orwell. La fascination d'Amelia pour le père de Jaime la conduisit à devenir sa maîtresse durant plusieurs années, malgré une différence d'âge évidente. S'il s'est éloigné de la politique, et de son fils Jaime, Don Carlos reste un homme de bon conseil.
Tomás a bâclé un article sur le meurtre de Pamela Dosantos, une artiste très connue, dont le cadavre démembré a été retrouvé. Tomás y citait une adresse proche de l'endroit ou fut découvert le corps – celle du bureau officieux de Salazar, Ministre de l'Intérieur. Rien n'indique le moindre lien entre Pamela et lui, mais l'article de Tomás est plébiscité par le public. La victime eut quantité de puissants amants… dont Salazar ? Il est indispensable que les Bleus d'autrefois fasse corps autour de Tomás, car il s'expose à de graves ennuis. Mario demande à son fils Vidal (et à son ami hacker Luis) de pirater tout renseignement sur Pamela Dosantos. Pour Tomás, voilà une bonne occasion de renouer avec Amelia.
En attendant de savoir si Salazar est impliqué, le quatuor et Don Carlos doivent trouver une stratégie pour affronter le pouvoir. Menacé, Tomás doit autant se méfier des taxis que d'éventuels poursuivants en 4x4 blancs. La première réunion des ex-Bleus est interrompue par une alerte, malgré leurs précautions. Le rôle de Jaime n'est pas vraiment clair dans cet incident. Pour se contacter, Don Carlos confie à chacun d'eux un téléphone direct, censé éviter la surveillance. Tomás discute avec le vieux journaliste Don Plutarco, qui rencontra Pamela Dosantos. Le rôle de celle-ci n’était pas si futile qu’on pourrait le croire…
Tomás comprit pourquoi Jaime leur avait donné rendez-vous à cet étage. Les suites communiquaient entre elles, et celle qui était contiguë donnait sur un autre couloir qui menait directement à l’issue de secours.
Amelia regretta les talons qu’elle avait choisi de mettre ce soir-là. Mario serrait l’ordinateur dans ses bras et Tomás dévalait l’escalier quand il vit qu’Amelia prenait du retard. Ils entendirent une rafale de coups de feu en provenance de l’étage qu’ils venaient de quitter. Jaime avançait en tête du groupe, pistolet au poing. Deux étages plus bas, ils trouvèrent plusieurs hommes munis d’armes automatique et Tomás crut qu’ils allaient être criblés de balles ; il s’élança sur Amélia et la renversa sur les marches, la protégeant de son corps.
La politique intérieure de chaque pays est forcément complexe. Vu d'Europe, le Mexique apparaît comme une nation ayant réussi à établir une stabilité rassurante. Il semble que le principal parti, le PRI, ait le soutien du voisin américain. Quand on entend parler de gangs criminels, ça reste plutôt confus dans nos esprits. On ignore qu'ils causèrent jusqu'à près de mille morts par mois. La corruption dans les cercles du pouvoir central et à la tête des provinces fédérées, on suppose qu'elle existe. Être dirigeant politique au Mexique, c'est plus qu'ailleurs être assis sur un siège éjectable, donc autant profiter des avantages et bénéfices que ça peut apporter. Tant que l'opposition se cantonne à réclamer vainement davantage de transparence dans la gestion politico-économique, tout va bien pour les élites au pouvoir.
Un grain de sable dans les rouages gouvernementaux bien huilés, voilà comment sont perçues les révélations de Tomás Arizmendi. S'il n'avait autour de lui un groupe d'amis bien placés, il devrait vite quitter le Mexique. Outre l'enquête du journaliste, chacun d'eux glane des renseignements sur la victime et, si possible, sur les arcanes politiques. Car la thématique de ce roman noir, c'est – sous couvert de fiction – de nous présenter le fonctionnement institutionnel de ce pays, au plus près de la réalité. Aspect documentaire, qui ne nuit nullement à l'intrigue, non dénuée d'une paranoïa troublante. Un suspense qui nous informe et suscite notre curiosité, c'est encore mieux. Désormais disponible en format poche chez Babel Noir, “Les corrupteurs” est un roman à ne pas manquer.