À la résidence pour personnes âgées Les Lilas, le décès d’Odette Leuliez peut passer pour un simple accident. La vieille dame a fait une chute brutale, et s’est fracturée le crâne. Mis à part qu’elle n’aurait pas dû se trouver en pleine nuit à cet endroit. La policière Céleste Alvarez est chargée d’éclaircir cette mort suspecte. Elle sera bientôt rejointe par son ami et collègue Manu. Céleste recueille les témoignages, celui de l’aide-soignante de nuit, de la directrice Mme Chardonne. Elle se rend chez la famille Pierret, rencontrant la filleule de la défunte. Céleste demande encore l’avis du médecin traitant et du kiné d’Odette Leuliez. Tous connaissaient le côté geignard et la gourmandise de cette dame, adorant le sucré, mais elle ne se déplaçait qu’avec difficulté. En revanche, Céleste a quelque difficulté à obtenir des renseignements auprès de la voisine de chambre, Colette Wensby.
En effet, cette dernière vit davantage dans le passé, se remémorant des souvenirs. Il est vrai que son parcours ne fut pas du tout ordinaire. Colette était la fille de René Colson, un résistant aux fortes convictions communistes, et de son épouse Jeannette. Elle avait une vingtaine d’années quand mourut son jumeau Pierre. En 1966, René l’envoya séjourner chez un ami américain, qu’il connut durant la guerre, dans un ranch du Nevada. C’est là que, l’année suivante, Colette et Robert Hamilton devinrent intimes. Vivant çà et là de petits jobs, "Rob" était en route vers l’eldorado californien. Ayant volé 5000 dollars dans le coffre du ranch, le couple s’enfuit. En 1968, ils logèrent à Los Angeles, puis s’installèrent à San Francisco. Sans dilapider trop vite leur pactole, Rob commettait de petits larcins, pour le compte d’un receleur attitré. Que Colette soit enceinte les perturbaient peu.
Par contre, deux problèmes se posent alors. D’une part, Rob est appelé par l’Armée pour faire la guerre au Vietnam. D’autre part, il se produit une embrouille meurtrière impliquant son receleur, la mafia risquant de se venger sur Rob. La frontière canadienne est la plus proche, même s’il faut des complices pour la franchir. Ensuite, il faudra traverser tout le pays d’Ouest en Est, sacré périple en voiture pour le couple. Arrivés à Québec, trouver un embarquement pour l’Europe n’est pas sans amener d’autres complications. Envisager une nouvelle vie en France, ça ne peut se faire qu’avec l’aide de René, le père de Colette.
Les policiers s’aperçoivent que l’identité de Mme Wensby, qui fut longtemps libraire, est douteuse. Et que, même si ça ne suscita pas d’enquête sérieuse, la mort de René Colson fut criminelle. Face aux singularités comportementales de Colette, Céleste Alvarez doit essayer de l’apprivoiser. La vieille dame ayant souvent rusé au cours de son existence, pas si facile d’obtenir des confidences fiables. Elle évoque le passé de façon décousue, mais Céleste est patiente. Si Colette a bien eu un fils, Philip, ni Rob ni elle n’étaient des parents dans l’âme. Pour Céleste, comprendre le personnage de Colette n’est-il pas suffisant ?…
— C’est tout de même étrange, lieutenant, l’interpelle soudain la technicienne. Il n’y a qu’une seule série d’empreintes sur les poignées de la porte. J’ai fait l’intérieur et l’extérieur, même résultat. C’est pourtant un lieu de passage ici. Tout le personnel y circule obligatoirement plusieurs fois par jour. Il y en a des multitudes sur la rampe, le mur, mais sur la clenche, celles d’une seule et unique personne.
— Et je suis prête à parier que ce sont celles de l’aide-soignante qui a découvert le corps, réplique Céleste. Elle est encore là-haut. Vous pourriez vérifier tout de suite, que nous en soyons assurées ? Cela signifierait évidemment que la poignée a été essuyée par quelqu’un qui ne voulait pas que nous trouvions ses traces.
Ne nous trompons pas de lecture. Il ne s’agit pas d’un roman policier dont l’enquête serait le moteur. Certes, la lieutenant Céleste Alvarez cherche des éléments, examine les faits et l’environnement de la victime. Mais les clés de l’affaire figurent dans l’autre ligne de ce roman, parallèle aux investigations. C’est en plongeant dans la mémoire de l’héroïne de tribulations exceptionnelles, que l’histoire trouve sa force. Il y a le parcours de ses parents et de son frère, causes de ses décisions. Et nous voici vers la fin de la décennie 1960, au temps du "Flower Power". À une époque dont le slogan majeur était Peace and Love. Belle utopie, cet espoir que la Paix et l’Amour allaient révolutionner notre société.
Partir à l’aventure dans l’esprit de Jack Kerouac, d’Allen Ginsberg, de la Beat Generation, sur des chansons de Bob Dylan, de Jefferson Airplane ou de Buffalo Springfield ? Une idée de liberté guidait celles et ceux qui empruntèrent cette voie. Pourtant, dans certains cas, ce n’était probablement pas une sinécure. Car se marginaliser et fuir les obligations, ça a un prix. Colette et Rob se trouvèrent devant une série d’obstacles, pas infranchissables mais comportant parfois du danger. Avec “Peace and death”, roman noir diablement bien construit et très vivant, Patrick Cargnelutti nous fait partager le contexte de la toute-fin des années 1960. La psychologie des protagonistes – y compris celle du père de Colette – apparaît clairement dans l’action, balayant une quelconque lourdeur. Savoureuse intrigue.