Le boxeur Sonny Liston fut consacré champion du monde poids lourds le 25 septembre 1962, après avoir mis KO son adversaire au 1er round. S’il portait un nom britannique, il était héritier d’une lignée d’esclaves noirs. Ses origines confuses se situaient dans l’État du Mississippi, mais c’est en Arkansas qu’il naquit autour de 1930. Membre d’une famille de métayers, Charles "Sonny" Liston fut un enfant solitaire, renfermé. La dureté de son père y contribua certainement. Il était encore jeune quand il s’installa à Saint Louis (Missouri). Il fit partie d’un trio de délinquants noirs, qui furent bientôt arrêtés. En 1950, Liston fut mis en prison. On ne sait trop si c’est là qu’il fut surnommé Sonny, mais c’est ainsi qu’il débuta dans la boxe. Les témoins d’alors décrivent ce colosse tel “un mec immense au comportement puéril”, grand et plus fort que tous, mais avec des airs de gamin.
Dès sa sortie de prison, s’entraînant sur une musique rythmée de Jimmy Forrest, Sonny va très bientôt passer de l’amateurisme au statut professionnel. Inculte à tous points de vue, n’ayant aucune technique pugilistique, Sonny Liston est un cogneur, un puncheur. Sa force naturelle et ses grandes mains suffisent à mettre KO les adversaires. Rares seront ses échecs durant son début de carrière. Un boxeur efficace comme lui se fait rapidement remarquer. Par la presse, bien sûr, d’autant que son agent appartient à ce milieu. Mais surtout par les mafieux. Frankie Carbo, un parrain de Chicago, est en mesure d’influencer l’IBC, qui organise les grandes soirées de boxe. Blinky Palermo, son adjoint, gagnera la confiance de Sonny Liston. Malgré les inévitables rumeurs d’époque, il n’était sans doute pas nécessaire de truquer les combats lorsque Sonny était sur un ring.
Par contre, il est quasiment certain que le boxeur fut un employé de la mafia. Jusqu’en 1958, Sonny Liston participe à peu de combats, par manque d’adversaires à sa mesure, peut-être. Mais il écope de quatorze arrestations, ce qui attisera sa détestation des flics. Sa vie privée, en couple avec Geraldine, ne l’assagira guère davantage. Pendant ce temps, en coulisse, de multiples grenouillages sont destinés à l’accaparer, à en faire la propriété des cercles mafieux. En 1962, Sonny n’a rien perdu de sa capacité de frappe. Champion du monde des poids lourds, le boxeur transmet pourtant une image carrément négative. Il impressionne, sans être jamais populaire. Présenter dans la presse sa vie de famille, au calme à Denver, n’améliore pas sa réputation. Il reste le costaud noir irréductible, habitué à assommer sans pitié l’adversaire.
C’est un boxeur presque inconnu d’une vingtaine d’années qui, en 1964-65, annonce le déclin de Sonny Liston. Ce Cassius Clay mène une vie plus saine et possède une meilleure technique que lui. Certes, il combattra encore durant quelques années, mais c’en est fini du prestige, si mal récompensé par le public. Si Sonny Liston est alors plutôt riche, on ne peut pas dire que son existence soit équilibrée. Il est retrouvé mort à Las Vegas, fin 1970. Meurtre décidé par la mafia, ou overdose, il n’y aura jamais de réponse à cette question. Personne n’avait envie d’établir ses liens exacts et réels avec les mafieux…
Chasser les indésirables de la ville était un péché mignon du capitaine John Doherty, le boss. Il s’était déjà débarrassé de Barney Baker. Sonny éveillait chez Doherty une fureur incomparable. "Cinq poulets ont essayé d’arrêté Sonny. C’est pas des conneries. Ils ont cassé des matraques en noyer blanc rien qu’en frappant sur son crâne. Ils n’arrivaient pas à lui passer les menottes. C’est un monstre."
Une rumeur circula, disant que Doherty s’était chargé personnellement d’emmener Liston à la périphérie de la ville, avait pointé un flingue sur sa tempe et lui avait ordonné de décamper. La version de Sonny, même si elle est un peu moins mélodramatique, revient à peu près au même : "Ben, le commissaire, le capitaine Doherty, m’a dit en face que si je tenais à la vie, fallait que je quitte Saint Louis." Les mots que Doherty avait employés étaient : "Sinon on va te retrouver dans une ruelle." Leur signification ne faisait pas l’ombre d’un doute pour Sonny : "Il a dit que ses hommes feraient en sorte qu’on me retrouve dans la ruelle".
Cette réédition est une excellente initiative. Car la vie de Sonny Liston fut un vrai roman noir. Au 20e siècle, quelques-uns des grands noms de la boxe connurent des parcours chaotiques, mais celui de Sonny fut sûrement un des plus singuliers. Se contenter d’une biographie ordinaire et balisée, pourquoi pas ? Néanmoins, ça devient nettement plus excitant quand c’est Nick Tosches qui retrace les faits. Il s’est documenté sur tous les aspects, même éloignés, concernant le boxeur. Afin de faire comprendre au lecteur d’où venait cette hargne qui l’habitait. Sa violence sur le ring était l’expression d’un mal-être profondément inscrit en lui. Adrénaline également, dans ses actes de délinquant. Besoin de paraître toujours "le méchant" d’un jeu qui ne l’amusait pas vraiment, sans doute.
Cette biographie est le résultat d’une enquête pointue. Nick Tosches a, en quelque sorte, auditionné des témoins ayant rencontré Sonny Liston. Avant de confronter leur parole et celle du boxeur, à travers les interviews qu’il donna. Versions discordantes ou similaires, selon les cas. D’ailleurs, la légende ne commence-t-elle pas avec l’année de naissance de Sonny Liston ? Et son passage à la prison de Jefferson City en fait déjà un héros. L’auteur a raison de ne pas insister sur le sort des Afro-Américains en ce temps-là. Tout-un-chacun connaît déjà le contexte, et le rôle de militant impliqué ne conviendrait pas pour Sonny. En revanche, Nick Tosches s’introduit dans les arcanes de la mafia, essayant de décrypter les enjeux autour du boxeur. Cet hommage à Sonny Liston le mal-aimé est passionnant.
Nick Tosches : Le Roi des Juifs - Le blog de Claude LE NOCHER
Publié en 2006 chez Albin Michel, puis au Livre de Poche en 2009, " Le Roi des Juifs " de Nick Toshes est assurément un livre inclassable et déroutant. Arnold Rothstein est mort à New York le 6...
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