Chicago, en 1893. Une vaste foire exposition dédiée à Christophe Colomb anime la ville. À l’angle de Wallace Avenue et de la 63e rue, s’élève un bâtiment neuf aux allures de château. C’est le Dr Gordon Gregg qui l’a fait construire. Au rez-de-chaussée, se trouve sa pharmacie. On y vend notamment l’Élixir électrique, fruit des longues et coûteuses recherches du médecin. Au premier étage, des chambres à louer seront vite rentabilisées avec les visiteurs de la Foire. Gregg s’est réservé le second étage, d’où il gère l’affaire. L’architecture intérieure de l’immeuble est plus complexe qu’il y parait, avec ses escaliers dérobés et ses pièces secrètes. Plusieurs entreprises ont été chargées de la construction, se succédant car Gregg n’honorait pas ses factures. Maintenant, tout est en place.
Employé d’une société d’assurances, Jim remet au médecin un chèque de dix mille dollars six semaines après le décès accidentel de son épouse Millie. Même si Gordon Gregg fut naguère impliqué dans un trafic de cadavres, on n’a pas pu déceler cette fois d’indice suspect dans la mort de sa femme. Crystal, la petite amie de Jim, est une jeune journaliste. Elle a la confiance de son rédacteur en chef Charlie Hogan, bien qu’il la trouve quelque peu intrépide. Il a quand même passé son reportage sur un des aspects de la Foire. Crystal est intriguée par le Dr Gregg. Tout vêtu de blanc, l’homme est séduisant, autant qu’un peu inquiétant. Pendant ce temps, celui-ci règle à sa manière la lourde facture d’un créancier, et s’occupe du cas de sa fiancée, Geneviève, qui est aussi sa secrétaire.
L’assureur patron de Jim a certains soupçons sur le Dr Gregg. Il serait bon qu’il explique ses derniers mouvements financiers, avec l’argent de Geneviève. Celle-ci a provisoirement quitté Chicago. Quand l’assureur insiste, Gregg fournit sans tarder une preuve que la jeune femme est bien en vie. Jim risque fort d’y perdre sa place. Suite à un reportage trop audacieux, Crystal est aussi sur la sellette. Elle expose à Hogan ses doutes sur Gregg, qu’elle a vu entrant dans une maison close. Le rédacteur en chef approuve le plan de Crystal. Se faisant passer pour la nièce de la défunte Millie, la journaliste s’introduit auprès de Gregg. Elle devient sa nouvelle secrétaire, et il lui promet de placer au mieux la fortune dont elle est supposée disposer. Crystal enquête, observant l’activité au “château”. Un certain Thaddeus, ex-complice de Gregg, ne complique pas bien longtemps la vie du médecin. Les investigations de Crystal ne sont pas sans risque…
Une rude ascension : deux volées de marches sans le moindre palier. O’Leary se souvint de la surprise qu’il avait éprouvée lorsque Gregg lui avait demandé de construire cet escalier étroit et raide qui menait au deuxième étage sans donner accès au premier. À l’époque, il s’était demandé à quoi il pourrait bien servir car de l’autre côté de la paroi courait un escalier parallèle qui s’arrêtait au premier étage, alors que celui qu’ils étaient en train de gravir menait directement au deuxième […]
O’Leary se retourna et vit Gregg refermer la porte qu’ils venaient de franchir. Vue de l’intérieur de la pièce, elle s’incorporait totalement à la cloison et était tapissée d’un papier à rayures qui dissimulaient l’encadrement même de la porte. Dépourvu de poignée, le battant était complètement invisible.
— Maintenant vous connaissez mon secret, dit Gregg que l’étonnement de son visiteur semblait amuser. Je tiens à préserver ma vie privée, spécialement quand il y a de l’argent à la clé.
Publié en 1976 puis en 1992, “Le boucher de Chicago” est un roman délicieusement amoral que l’on peut qualifier de "polar historique". Pour cette édition, la traduction a été révisée par l’éditeur. L’histoire s’inspire de celle d’un escroc ayant existé, connu sous le nom de H.H.Holmes, qui fit réellement construire un tel château, dont on ne connaît pas exactement le nombre de victimes éliminées. Cette époque, où l’Amérique était un jeune pays incarnant la modernité, fut propice aux méfaits des arnaqueurs en tous genres. Certes, ils finissaient toujours par se faire prendre, mais profitaient longtemps de leurs escroqueries. Ce n’est rien dévoiler de préciser que l’Élixir du Dr Gregg n’est que de l’eau, et qu’il n’est même pas médecin. Afficher un certain prestige suffisait pour duper les gogos, et manipuler des femmes éprises, à la manière d’un Landru.
“Elle lisait un étrange pouvoir dans le regard profond de ses yeux foncés. Oui, c’est là que résidait le mystère, dans ce regard et dans cette maison insensée” selon la téméraire journaliste. Les faits ne sont pas énigmatiques, mais l’ambiance n’en apparaît pas moins troublante. L’habileté narrative de Robert Bloch consiste à suggérer combien il est facile pour un tel personnage de se débarrasser des gêneurs. Cynisme peut-être, mais c’est par leur capacité d’adaptation et de manipulation qu’on reconnaît les vrais escrocs. Excellente initiative de rééditer ce roman, à ne surtout pas négliger dans l’œuvre de Robert Bloch.