Ça se passe entre les dunes de la côte atlantique et les forêts de pins, dans un site naturel en grande partie préservé. Des lieux menacés depuis qu’un groupe industriel a lancé le projet d’une unité de stockage de matières dangereuses. Des zadistes se sont installés sur le secteur visé par cette destruction annoncée, génératrice de pollution. C’est à un autre niveau que certains, comme le nommé Pépé, cherchent des arguments pour contrer le désastre écologique. Par ici, on trouve encore une libellule très rare, espèce à protéger. Un atout pour le rapport des experts évaluant l’impact négatif du futur stockage. Pourtant, les initiateurs du projet ne renoncent évidemment pas. Une équipe de scientifiques a été engagée, afin que la contre-expertise leur soit favorable. Leurs bureaux provisoires se situent dans une ancienne école de la région.
Âgé de trente-six ans, Boris est naturaliste de profession. Logeant chez Florent et Jeanne, dans un gîte des environs, il appartient à cette équipe de contre-expertise. Il éprouve une sympathie certaine pour son confrère Pépé, amateur d’huîtres comme lui. Qu’une libellule contrarie l’envahissant projet de stockage, ça ne lui déplaît pas. Entouré de personnes qui aiment sincèrement la nature, appréciant la faune et les décors locaux, Boris glisse peu à peu du côté des défenseurs de l’environnement. L’homme qui rôde dans le coin, il l’a vite reconnu, bien que l’ayant jusqu’alors peu fréquenté. C’est son oncle Clément, qui a une réputation de révolté. S’il a disparu depuis quelques temps, il n’est pas mort. Sa présence dans la région ne doit sûrement rien au hasard. Quand il entre en contact avec Boris, c’est pour lui expliquer son but… meurtrier.
Il existe une verrue dans le paysage dunaire. Cette villa construite par le riche Raphaël est délibérément destinée à gâcher la beauté de la côte. Le propriétaire s’est assuré le soutien d’Horace, le maire, pour bâtir cette horreur. Certes, au nom du respect de la Loi Littoral, une plainte n’est pas exclue. Ce dont se fiche éperdument Raphaël. Il a fait venir deux de ses amis. Émeric est un escroc poursuivi pour avoir monté une pyramide financière qui a ruiné les plus crédules. Pas tellement moins cynique, Alexis est exportateur de bois : un farouche partisan de la mondialisation, grâce à laquelle il s’enrichit toujours davantage. Il reste l’ami des deux autres, partageant le même mépris envers le commun des mortels. Mais le service que lui demande aujourd’hui Raphaël dépasse les normes de l’amitié. Il va devoir louvoyer pour limiter sa complicité, car il pourrait y avoir mort d’homme…
Raphaël avait posé sa villa sur le trait de côte, à plusieurs kilomètres de la station balnéaire, dernier lieu reconnu par mon GPS. Si j’avais encore douté de l’influence de mon ami, il m’aurait suffi d’essayer de répondre à cette question : comment donc, pour l’utilité ou plutôt le plaisir d’un seul individu, avait-on pu permettre de bitumer ce qui pendant longtemps s’était révélé une simple piste serpentant au petit bonheur à travers les dunes ? Quelle pression l’homme avait-il exercée ? Quelle réglementation avait-il contournée ? Quelles mains avait-il graissées ? Raphaël, sans aucun doute, avait encore beaucoup à m’apprendre sur les libertés que l’on peut s’accorder […]
La piste bitumée s’arrêtait tout net, comme un nappage de caramel qu’on aurait coupé grossièrement à la roulette. Une route qui se terminait nulle part me donnait toujours l’impression d’avoir été tracée par le Diable ou un de ses suppôts, et de conduire malgré les apparences à un précipice.
C’est "sous le signe de la nature" que s’inscrit cette histoire. Pascal Dessaint ne cache pas ses sympathies pour la défense de l’environnement. Plusieurs de ses romans évoquent des questions sur ce thème, notre monde industrialisé semblant incompatible avec le respect des éléments naturels. Certes, les autorités promettent une "transition" vers des pratiques moins dévastatrices et moins polluantes, mais on ne le constate guère au quotidien. L’avis des scientifiques s’avérant souvent contradictoire, certains étant soumis à des lobbies, ça ne paraît plus guère compter aujourd’hui. D’aucuns pensent que la solution, c’est de créer des ZAD, Zones À Défendre, dès qu’est envisagé un nouveau projet potentiellement nocif. Au risque de friser la caricature, il faut l’admettre, quand des "pros de la contestation" se joignent à ces combats, aussi justifiés soient-ils.
Pascal Dessaint n’est pas un homme sombre, un pessimiste grincheux. Au contraire, il se montre toujours assez souriant, dans la vie comme dans ses écrits. Il ne servirait à rien, il le sait évidemment, d’aligner un argumentaire démonstratif contre l’ultralibéralisme qui s’attaque sans complexe aux sites naturels. Néanmoins, en décrivant (non sans ironie) la misanthropie et les bassesses de certains fortunés, est-il loin de la réalité ? On peut croire que de tels personnages réagissent ainsi qu’il montre le trio de cyniques. Quant à Boris, le naturaliste, de quel côté basculera-t-il finalement ? C’est à travers une double narration, celles d’Alexis et de Boris, qu’évolue cette intrigue. Avec un aspect criminel, mais surtout une large part d’humanisme. Un suspense très réussi, d’autant que Pascal Dessaint est un auteur chevronné, récompensé par plusieurs prix littéraires incontestés.