Bernadette Manuelito appartient à la police navajo, dont la juridiction s’applique dans la réserve indienne, située pour l’essentiel en Arizona. En couple avec son collègue Jim Chee, ils habitent à Shiprock. Bien que ce soit sa jeune sœur Darleen qui est supposée s’en charger, Bernadette veille sur leur vieille mère Mama, diminuée physiquement. Bernie est très imprégnée de culture navajo, comme une grande partie de son peuple. Window Rock est la capitale de cette réserve. Aujourd’hui retraité, devenu détective privé, le lieutenant Joe Leaphorn y retrouve ponctuellement ses amis policiers navajos. Si Jim Chee a souvent enquêté avec lui, Bernie se sent également très proche de Leaphorn.
Ce jour-là, le lieutenant est visé par un coup de feu tiré par un inconnu. Bernie est témoin de la scène, mais ne peut intervenir assez vite. Elle a vu le véhicule, et raconte ce qu’elle sait à l’agent du FBI Jerry Cordova. Le supérieur de Bernie préfère l’écarter de l’enquête, qu’il confie à Jim Chee. Il faudrait prévenir Louisa, la compagne de Joe Leaphorn, mais elle semble avoir quitté précipitamment leur domicile, peut-être après une dispute. Par contre, la voiture du tireur est bientôt identifiée. Elle appartient à Gloria Benally, une femme de caractère. Elle partage l’utilisation du véhicule avec son fils étudiant Jackson, souvent accompagné d’un étudiant de moins bonne réputation, Leonard Nez.
Joe Leaphorn a été transféré à l’hôpital de Santa Fe, et placé en coma artificiel. Même si elle ne se sent guère à l’aise dans cette ville, Bernie rend visite à Leaphorn, inconscient mais vivant. Elle récupère le précieux calepin de l’ex-lieutenant, qu’elle tente de décrypter. En tant que détective, la dernière mission en date de Leaphorn concernait le CRIA, Centre de Recherche sur les Indiens d’Amérique, basé à Santa Fe. Bernie prend contact avec le directeur de cet organisme et son adjointe. Elle leur donne le rapport que Leaphorn n’a pas eu le temps de poster. Le CRIA allant recevoir un lot de poteries exceptionnelles, anciennes et très rares, Leaphorn devait vérifier la régularité de l’opération. Bizarrement, le CRIA n’a pas reçu la première moitié du rapport du détective Leaphorn.
L’étudiant Jackson Benally étant de retour, Jim Chee l’interroge. Il est trop grand pour être le tireur, mais son alibi manque de clarté. Quant à son ami Leonard Nez, on ignore où il est passé. Jim Chee explore une autre piste : les frères Tsosie pouvaient vouloir se venger de Leaphorn, qui arrêta l’un d’eux. Sont-ils désormais aussi socialement insérés qu’il y paraît ? Bernadette consulte de la documentation sur les tissus et les poteries indiennes, dont les plus authentiques ont une grande valeur. Si la première partie du rapport de Joe Leaphorn est en mémoire dans son ordinateur, ça peut offrir d’importantes indications. La séance chez l’hypnotiseuse de la police permet à Bernie de cerner un détail concernant le tireur. En se rapprochant de la vérité, la policière se met personnellement en danger…
Elle ne savait pas bien pourquoi, mais l’étroit espace sombre, sous le meuble, et les enchevêtrements de câbles, lui firent penser à la Femme-Araignée du Peuple Sacré qui avait jadis enseigné le tissage aux Navajos et donné aux Jumeaux Héroïques les armes dont ils avaient besoin dans leur quête pour trouver leur père, le Soleil, et délivrer la terre des monstres. Elle observa la façon dont les câbles s’entortillaient. "Je parierais que c’est une femme qui a installé ça, dit-elle. Ce devait bien être la fille de la Femme-Araignée."
— Qui ? Je n’ai jamais entendu ma grand-mère m’en parler, de celle-là.
— C’est sur elle que ma mère plaisantait toujours, quand il fallait qu’elle recommence partiellement une tapisserie. Elle m’a expliqué qu’elle contribue à résoudre les complications imprévues de l’existence, qu’elle démêle les situations embrouillées. Quand je commence à lui parler d’une affaire compliquée, Mama me dit : "Oh, tu arriveras à tisser ton chemin jusqu’à la solution. Tu es comme la fille de la Femme-Araignée."
C’est Tony Hillerman (1925-2008) qui créa la série de suspenses ethnologiques ayant pour héros Joe Leaphorn et Jim Chee, de la police tribale navajo. Leurs dix-huit aventures, dont douze en commun, sont publiées chez Rivages, comme toute l’œuvre de cet auteur. Née en 1949, sa fille Anne Hillerman a décidé de donner une suite à ces enquêtes. Si les deux principaux personnages y sont toujours présents, c’est l’agente Bernadette Manuelito qui est vraiment l’héroïne de “La fille de la Femme-Araignée” et de “Le Rocher avec des ailes”. Ce second titre est disponible en grand format aux Éd.Rivages, dès ce mois de juin 2017.
Anne Hillerman est parfaitement respectueuse de l’esprit des romans de son père. Au fil du récit, sont d’ailleurs évoquées certaines affaires traitées par Chee et Leaphorn. Si ce dernier est à la retraite, restant actif en tant que détective privé, c’est une "figure" de la police navajo, un précurseur vénéré par toute une génération. S’il se trouve dans un état grave, victime d’un tireur, faudra-t-il chercher parmi les dossiers dont il fut naguère chargé ?
Fille et petite-fille de tisserande, Bernie Manuelito est évidemment touchée par la préservation des objets, poteries d’autrefois ou tissus artistiquement exécutés à la main, qui témoignent de la culture de son peuple. Elle sillonne cette contrée indienne, dont une carte nous permet de situer la géographie. En fin d’ouvrage, un glossaire nous explique quelques termes concernant cette civilisation navajo.
Enquête fort bien construite, et ambiance empreinte de traditions, auxquelles s’ajoute un troisième atout : la vie du couple Jim Chee-Bernadette, plus les liens familiaux de la policière avec sa mère et sa jeune sœur, assez écervelée. Cet aspect-là importe dans le portrait de l’héroïne, communiquant une empathie certaine. C’est avec grand plaisir qu’on lit cette "suite" écrite par Anne Hillerman, et que l’on découvrira le nouvel épisode, “Le Rocher avec des ailes”.