Une incessante pluie diluvienne tombe sur Rome en ce mois de septembre. Enrico Mancini est en poste au commissariat de Monte Sacro. Son épouse Marisa est récemment décédée d’un cancer, malgré les efforts de l’oncologue Mauro Carnevali. S’il a été un enquêteur hors-pair, adepte des méthodes scientifiques et techniques, le commissaire Mancini végète depuis son veuvage. Il ressasse encore des images trop vivaces de Marisa. Le chirurgien Carnevali ayant brusquement disparu, c’est la seule affaire à laquelle il s’intéresse. On sait que, suite à une mésentente grandissante avec sa femme, il avait déménagé depuis peu. Selon son épouse, il a certainement quitté l’Italie avec sa maîtresse. Mancini n’en est pas convaincu, conscient que la seule passion du chirurgien, c’était son métier.
Quand est découvert le cadavre martyrisé d’une barmaid rousse d’origine irlandaise, le préfet de police pense immédiatement que c’est l’œuvre d’un tueur en série. C’est au commissaire Lo Franco qu’échoit le début de l’enquête. Toutefois, le préfet n’oublie pas les compétences de profileur d’Enrico Mancini. Ce dernier se spécialisa grâce à Carlo Biga, un vieil expert aujourd’hui retraité, mais qui enseigne toujours son savoir à des policiers. Les faits et les détails pointus sont essentiels, mais Carlo Biga n’oppose pas profilage et fiction romanesque : la “structure du mensonge” peut permettre de cerner les intentions des tueurs en série. Un autre cadavre mutilé est retrouvé, pas très loin. Ce sexagénaire fut-il vraiment un sans-abri, comme le criminel a voulu le faire croire ? Pas sûr du tout.
La troisième victime est un moine franciscain âgé. Son corps se trouvait dans les anciens abattoirs désaffectés d’un quartier proche. Il semble avoir subi le traitement d’un animal, comme ceux qui autrefois étaient abattus ici. Cette fois, Mancini est contraint de prendre en main l’affaire. D’autant que ces crimes sont bientôt revendiqués par un inconnu qui, à l’instar de Jack l’Éventreur, se surnomme lui-même l’Ombre. Le commissaire choisit un local du genre bunker, afin d’éviter les indiscrétions, et forme son équipe. Carlo Biga et le médecin légiste Antonio Rocchi en seront les consultants. La séduisante juge Giulia Foderà sera son principal contact avec la hiérarchie. Surtout, il compte sur deux jeunes recrues prometteuses, l’inspecteur Walter Comello et la photographe policière Caterina de Marchi.
S’il ne perd pas de vue la disparition du chirurgien Carnevali, les recherches de Mancini et de son équipe se font tous azimuts. L’histoire des anciens abattoirs, celle de ce gazomètre abandonné de longue date où a été découvert un des cadavres, la vie du moine et l’autre métier de la barmaid, tout est passé au crible. Y compris les mails adressé par l’Ombre à un ex-journaliste. C’est sur le site des Thermes de Mithra, à Ostie, que le criminel a déposé sa quatrième victime. Hors du périmètre auquel pensait Mancini ? Oui, mais le commissaire ne tarde pas à en avoir l’explication. Quand les services du préfet arrêtent un suspect, ce déséquilibré Croate ne fait pas longtemps le poids face à Mancini. Tandis que le criminel prévoit d’autres victimes, la traque continue pour Mancini et son équipe…
C’était le message d’un assassin lucide, sans aucun doute. Organisé et avec un objectif précis. Ce n’était pas un hédoniste : l’absence de violences à caractère sexuel, pré ou post-mortem, ou de cannibalisme, le laissait penser. Il pouvait cependant s’agir d’un dominateur, si Rocchi [le légiste] confirmait que les sévices sur les corps des victimes leur avaient été infligées de leur vivant. S’il les avait torturées pour jouir de leur terreur et exercer son pouvoir de prédateur.
Qu’étaient donc ces "morts de dieu" ? Et la charrue ? Que signifiait cet outil symbolique ? De la position des corps et de ces éléments, on pouvait déduire que l’Ombre était un meurtrier rituel, avec un niveau d’instruction moyen ou élevé. Il devait absolument répondre à ces questions pour cerner le profil de celui qui semait la panique et la mort, et vite, s’il voulait empêcher que seule triomphe la justice évoquée par ce monstre.
C’est sous un éclatant soleil permanent que l’on imagine Rome, la Ville Éternelle. Mais le décor de cartes postales, avec ses célèbres monuments riches d’histoire, ce n’est pas ce que veut nous montrer Mirko Zilahy, lui-même Romain. Les bâtiments où vont enquêter ses policiers sont, pour la plupart, déjà anciens et inutilisés. On risque fort d’y croiser bon nombre de rats. La population est plus hétérogène qu’on pourrait le penser. Le Tibre n’est pas simplement un fleuve pittoresque, surtout quand des pluies torrentielles font craindre des crues. Et durant la nuit, certains quartiers peuvent s’avérer inquiétants, angoissants.
Dans un roman, on peut ressentir de l’empathie pour le héros, d’autant qu’on nous décrit fréquemment des enquêteurs meurtris par un passé douloureux. Avec Enrico Mancini, veuf depuis peu, c’est le cas. Mais l’auteur réussi une belle performance, car on éprouve aussi un réel attachement pour l’équipe autour du commissaire. Carlo Biga dans le rôle du vieux sage, Comello le pétulant factotum de Mancini, la jeune et encore craintive Caterina, la juge Giulia Foderà mi-secrète mi-offensive, le légiste Rocchi aux analyses très précises… L’union fait la force, et Mancini en a bien besoin pour récupérer ses capacités de limier, face à un insaisissable adversaire. Nous autres lecteurs, qui les observons, on a envie de les encourager, afin qu’ils gardent le moral et dénichent les meilleures pistes.
Le "profilage criminel" tient une place d’importance dans cette intrigue. Néanmoins, sur le conseil de Carlo Biga, on n’écarte jamais l’intuition et la déduction, afin de mieux définir le profil psychologique de l’assassin, et le sens de ses actes. Un passionnant polar noir, où l’ambiance est aussi réussie que l’enquête est captivante. À découvrir absolument.
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