La Calabre est cette région située à l’extrême sud-ouest de l’Italie, à la pointe de la botte, face à la Sicile. Elle est fortement sous l’emprise mafieuse de la ’Ndrangheta, des familles de "galants hommes". Une aristocratie locale dominatrice, qui n’est pas moins féroce que toute autre mafia italienne. C’est dans ce contexte qu’Alberto Lenzi exerce son métier de juge. Âgé de quarante-cinq ans, il mène une carrière léthargique, à l’exception de deux affaires résolues avec brio. S’opposer frontalement à la ’Ndrangheta serait illusoire. Mais il reste en contact avec le vieux don Mico Rota. Celui-ci reçoit des soins médicaux en prison, tout en étant assigné à son domicile grâce à bienveillance du juge Lenzi. Officiellement, il n’intervient plus dans la mafia calabraise, mais il n’ignore rien de ce qui s’y passe.
Côté sentimental, Alberto Lenzi a du mal à trouver un équilibre. Il reste proche de Marina, adjudant des carabiniers, avec des rapports très tendus. Il l’associe à ses enquêtes, tout en gardant pour lui la plupart des éléments déterminants qu’il découvre. Par ailleurs, il est intime avec la belle avocate Laura. Toutefois, cette allumeuse ne va pas jusqu’à une vraie relation incluant le sexe. Le cas échéant, Alberto ne s’interdit pas de profiter d’occasions avec d’autres partenaires féminines. Dans ses fonctions, le juge Lenzi est actuellement assisté du nommé Cippo, un stagiaire corpulent. Lui transmettre son expérience, ce serait bien trop vaniteux de la part de Lenzi. Néanmoins, il peut l’initier à l’ambiance calabraise et partager avec lui quelques hypothèses quand se produisent certains crimes.
En marge des familles de la ’Ndrangheta, d’autres notables de la région ont coutume de se réunir au Centre culture Vincenzo Spatò. Ces beaux esprits observent eux aussi les faits criminels pouvant perturber le quotidien de Calabre. Leurs échanges s’avèrent quelquefois nerveux : les uns attribuent certains meurtres à des causes privées – et aux femmes – tandis que leurs interlocuteurs défendent des versions moins basiques. La mort de Marco Morello leur permet de confronter leurs opinions. Fils de don Rocco Morello, un puissant chef d’un clan calabrais, Marco était âgé de trente-deux ans. On l’a retrouvé mort, dans une mise en scène scabreuse, ligoté tête en bas tel un "capocollo", charcuterie en forme de saucisson. La passivité affichée de la famille Morello est certainement trompeuse.
Le juge Lenzi et Cippo enquêtent prudemment. Que Rocco Morello ne se montre pas du tout coopératif, ça n’a rien d’étonnant. Sara, la séduisante veuve de Marco, paraît plutôt indifférente au décès de son mari, qu’elle savait infidèle. Ce n’est pas du côté de Teresa, dite Terry, amante du défunt, que Lenzi compte trouver le coupable. Giovanni Scali ne cachait pas sa détestation envers Marco Morello, mais on le voit mal prendre des risques face à ces mafieux. La mort d’un nommé Antonio Racco peut être attribuée aux Morello, afin de "sauver l’honneur", encore faudra-t-il le prouver. L’Ombre, qui a assassiné Marco, n’en a pas fini avec sa vengeance. Les allusions de don Mico Rota suffiront-elles à mettre le juge Lenzi sur la bonne voie ?…
Alberto était habitué. Des poses construites sur mesure, la mine farouche qui sied à "l’homme", pour montrer qu’il a la peau coriace, pour qu’on comprenne que s’il devait pour lors pleurer un fils, d’autres verseraient bientôt des larmes plus amères, qu’il était Rocco Morello, un dur à cuire que le premier magistrat venu n’était pas près de faire plier, et qu’il n’aurait jamais dû subir l’affront d’une question si directe. Il était différent de Rota, il n’avait ni ses manières, ni son charisme, ni sa présence, ni sa finesse d’esprit. Mais il était plus dangereux parce que, dans sa tête, il était resté chevrier, malgré l’argent. À cette pensée, Lenzi eut l’impression de sentir sa puanteur, comme si l’odeur des chèvres qu’il avait gardées dans sa jeunesse lui collait encore à la peau et avait envahi le bureau […]
Morello : vilain à voir, une barbe hirsute d’au moins trois jours, une panse au septième mois de grossesse, un "patanoun" aux trous poilus à la place du nez, des cheveux crépus qu’aucun peigne n’aurait pu pénétrer, une chemise sans col, une veste informe, une démarche pesante…
Est-il véritablement possible de faire la lumière sur une série de crimes, dès lors que c’est la mafieuse ’Ndrangheta qui pèse à tous niveaux en Calabre ? Pour cette troisième affaire, le juge Alberto Lenzi laisse venir les événements, même s’il ne s’interdit pas d’interroger quelques personnes et d’émettre des suppositions. Il est conscient des faux-semblants, inhérents à ce petit univers où il ne peut jouer qu’un rôle modeste. Qu’un inconnu s’en prenne à un clan important, avec une belle ironie dans la présentation de ses crimes, cela ne déplaît évidemment pas à Lenzi. Et si ça lui permet de pimenter sa vie sexuelle, il n’y voit pas d’inconvénient, non plus.
En outre, assister aux débats du Cercle culturel local est assez savoureux également. Les tiraillements entre "personnalités" cultivées offrent un témoignage sur les tendances d’une partie de l’opinion publique calabraise. Sans être d’une stricte neutralité, ils ont une approche différente, complémentaire. L’intelligence des romans de cette série consiste à ne pas noircir inutilement le récit. Des morts assez spectaculaires, que la Justice se doit d’éclaircir, certes. Mais la tonalité amusée est présente dans une large mesure. Et Alberto Lenzi est un magistrat dont on apprécie la compagnie, tant dans son métier que dans sa vie personnelle. “La vérité du petit juge” confirme l’excellente impression donnée par les deux précédents épisodes.
Mimmo Gangemi : La revanche du petit juge (Éd.Seuil, 2015) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/2015/04/mimmo-gangemi-la-revanche-du-petit-juge-ed-seuil-2015.html
Cliquez pour mes chroniques sur les deux autres romans de Mimmo Gangemi.