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20 février 2017 1 20 /02 /février /2017 05:55

Âgé de trente-sept ans, Andreï Mladin est journaliste dans la Roumanie démocratique des années 1980, sous le règne éclairé de Nicolae Ceaușescu. C’est un honneur pour Mladin de passer quelques jours dans la petite ville de Marna, où il réalise une série de reportages à la gloire de la florissante agriculture roumaine. En réalité, Mladin ne s’y amuse guère, en ce mois d’octobre pluvieux, plus humide que jamais. Certes, il fait la connaissance de la sculpturale Mirela, véritable déesse blonde. Toutefois, le journaliste n’est pas un de ces séducteurs claquant des doigts pour conquérir des femmes superbes. Il croise également deux figures locales, le vieil alcoolique Timofte et le jeune fada Miron.

L’homme prétendant avoir des révélations à lui confier, Mladin est le premier à découvrir le meurtre de Timofte. Ce qui ne peut qu’entraîner de la suspicion chez les policiers zélés de Marna, mais son métier le protège un peu. Surtout, les enquêteurs ont un coupable tout désigné : Miron. Son couteau est resté sur la scène du crime, et un voisin affirme l’avoir vu entrer chez Timofte. Même si Mladin est sceptique, l’évidence s’impose. Quand la mère de Miron fait appel à lui, le reporter est vite convaincu de l’innocence du simple d’esprit, bien incapable de "signer" son crime. Enquêter pour disculper Miron, pourquoi pas ? Mais Mladin ne dispose d’aucune preuve, et la police n’a pas de raison de l’aider.

En compagnie de Mirela, le journaliste découvre le principal lieu de plaisir de Marna, la Maison des Loisirs. On peut y gagner jusqu’à quatre cent lei aux machines à sous, y boire de l’alcool en catimini. Par contre, l’accès à la bibliothèque est contrôlé par un vigile aux airs de rhinocéros, afin de ne pas troubler la tranquillité des lecteurs. Ce qui provoque un incident pugilistique entre Mladin et le gardien costaud. Le directeur, Marin Bodea, se montre très arrangeant envers le reporter. Après avoir interrogé les rémouleurs de Marna, au sujet du couteau de Miron, Mladin entre en contact avec le colonel de police Dumitru Valerian. Ce dernier a besoin du journaliste pour de discrètes investigations.

Le major Pompiliu enquêtait sur des trafics massifs à la Grande Fabrique, l’usine locale. Il semble s’être suicidé, mais il a plus sûrement été assassiné. Mladin s’en convainc bientôt, la lettre d’adieu du policier apparaissant carrément fausse. Une visite clandestine nocturne à la Maison des Loisirs va permettre à Mladin de découvrir quelques éléments. Au risque d’attraper un mauvais rhume tenace. Que le reporter fouine bien trop en ville, cela déplaît fort au maire de Marna. Par contre, le directeur de la Grande Fabrique fait preuve d’une parfaite courtoisie, invitant même Mladin et Mirela à une réception dans sa belle demeure. L’assassin commet un troisième crime, toujours pour protéger son lucratif secret…

George Arion : La vodka du diable (Genèse Éd., 2017)

La différence de carrure entre lui et moi est nettement en sa faveur. Je décide donc de me pencher en avant, comme pour refaire mon lacet. Pris dans son élan, ce Goliath ne peut arrêter son geste et frappe dans le vide. Furieux d’avoir manqué son coup, il fonce vers moi, tel un bulldozer. Je m’écarte légèrement et tends la jambe, en faisant mine de vérifier le nœud de mon lacet. Quoi de plus efficace pour aider cet animal à entrer au plus vite en contact avec le sol ? Le colosse s’écrase sur le ventre et glisse dans un mouvement rectiligne à vitesse constante jusqu’à ce que son crâne percute une colonne. La collision est telle que l’ensemble du bâtiment en vacille…

Jusqu’en décembre 1989, le peuple roumain ne pouvait pas se plaindre de son quotidien. À la mort du dictateur Ceaușescu, la population a pu enfin se plaindre d’un régime qui ne fut nullement paradisiaque. Entre-temps, George Arion publia des romans policiers dans lesquels, loin de la propagande officielle, étaient décrits certaines réalités de l’époque. Même dans un pays supposé communiste, prospéraient des profiteurs et des combinards à l’abri du besoin, tandis que la plupart des habitants vivaient modestement. Quant à se fier à la police, institution politico-militaire, on la redoutait trop pour s’adresser à elle. On le devine ici, à travers le colonel de police qui évoque un épisode du passé pour qu’Andreï Mladin lui fasse confiance. Le contexte qui apparaît en filigrane renseigne le lecteur sur la Roumanie d’alors.

Avant tout “La vodka du diable” est une excellente comédie policière. C’est avec beaucoup d’humour que nous sont racontées les tribulations du reporter Mladin. Ce personnage n’a rien d’un super-héros, il subit davantage qu’il ne maîtrise les situations. “Quand on n’est pas le plus fort, il faut être le plus malin” dit un vieil adage, dont l’équivalent devait exister chez les Roumains. Le salut est parfois dans la fuite ou, au moins dans l’esquive, Mladin l’a bien compris. Derrière ses mésaventures souriantes, c’est une intrigue criminelle classique et solide qu’a concocté George Arion, ne nous y trompons pas. Un vrai roman policier, qui nous offre une belle dose de plaisir.

George Arion en 2014, à Penmarc'h (au festival Le Goéland Masqué).

George Arion en 2014, à Penmarc'h (au festival Le Goéland Masqué).

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commentaires

G
Merci beaucoup, Monsieur Claude Le Nocher!Vous-avez presente avec sympathie mon roman écrit dans les annees '80. Croyez-moi, je suis tres fier de moi-meme parce'que j'ai été si malin de tromper la censure. Dommage, pas totalement, j'ai du renonce a nombreuses pages du mon livre. Aujourd'hui il y a des écrivains qui font le réquisitoir de la periode totalitariste. J'ai réussi de critiquer le regime sous la menace des graves sanctiones. L'humour m'a sauve. Encore une fois, merci!
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C
Bonjour<br /> C'est un plaisir pour moi de lire et de faire la chronique de vos romans. Nous n'avons pas vécu en France sous un régime totalitaire, mais une censure (moins autoritaire, plus morale) exista ici il y a encore une quarantaine d'années. On peut donc imaginer les risques pour vous, à l'époque. L'humour est aussi une arme... et se moquer des puissants est presque un devoir pour les écrivains.<br /> Amitiés.
L
j'ai eu le plaisir ce roman il ya une semaine ou deux et que je ne manquerai pas de le chroniquer à mon tour dans quelques temps. Comme tu le dis si bien, voilà une intrigue criminelle classique. Mais vin diou, quand c'est bien écrit, sans pathos et sans artifice; preuve est faite que le lecteur y prend un vrai plaisir ! je suis content que ce genre de roman existe encore, un plaisir simple mais vrai.
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C
Ta réaction me ravit, mon cher Bruno !<br /> Oui, j'en ai parfois marre de certains pavés qui, très bons ou plus moyens, emberlificotent des intrigues sans nécessité absolue. Ces romans y perdent en fluidité narrative, donc pour nous en plaisir de lecture. Les formes plus "classiques" ont ce mérite de capter notre attention bien plus facilement, et en plus quand il y a une bonne part d'humour, c'est le top !<br /> Amitiés.
P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> Sur le site Rare Historical Photos, voyez un sujet non pas identique mais en rapport avec les derniers temps du bloc de l'Est.<br /> Le premier concours de beauté, jusqu'alors perçu comme événement typiquement occidental, en Union Soviétique en 1988. Qui est une illustration parmi d'autres, mais à laquelle on penserait moins, de l'ouverture des années Gorbatchev.<br /> <br /> http://rarehistoricalphotos.com/first-miss-soviet-union-beauty-pageant-1988/<br /> <br /> First Miss Soviet Union beauty pageant, 1988<br /> <br /> Cordialement
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C
Bonjour Philippe<br /> Parfois, quand la télé nous présente des images de matchs de football jusqu'à la fin des années 80, c'est du noir & blanc. Alors que ces matchs furent diffusés en couleur à l'origine, dès le tout début des années 70 (peut-être même avant). Ici, ces photos (hormis deux d'entre elles) sont en noir & blanc, non pas par "effet artistique", mais comme pour faire croire que l'URSS ne disposait pas de la technique de photo couleur (en 1988 !). Propagande américaine par excellence, dirais-je. <br /> Amitiés.

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