Boris est né en 1991. À l’âge de huit ans, sa mère Laure Sieger le confia à son amie Rose, militante prolétarienne, qui éleva ensuite l’enfant. Connaissant l’instabilité de Laure, on ne s’interrogea guère sur sa disparition. À peine majeur au décès de Rose, Boris hérita de son logement parisien, dans le 14e. Désormais employé municipal dans une ville de banlieue, Boris est un solitaire à la sexualité hésitante. Par hasard, il entre en contact avec le jeune Oussama Mouiri, dit Oussa. Si lui-même est un musulman pratiquant "a minima", Oussa a plusieurs copains partis en Syrie comme djihadistes. Son meilleur ami, Français converti, pose sur une photo au côté d’un certain Abou Hatem, un émir du djihad. Boris est obligé d’admettre son trouble, car cet homme pourrait être son sosie – ou un frère inconnu.
Boris entreprend de chercher des traces de sa mère Laure, aperçue en dernier du côté d’Honfleur, plus de quinze ans auparavant. L’hôtelière Dinah et sa fille Mary lui apportent un peu d’aide. Grâce à elles, il obtient le témoignage du gendarme retraité qui enquêta vainement sur la disparition de Laure. On l’aurait vue peu avant avec un Maghrébin, vague silhouette non identifiée. De retour à Paris, rendez-vous est pris via Oussa avec le nommé Abou Hatem, en Turquie, à Antioche. La perspective d’un voyage n’enchante guère Boris, sédentaire par nature. Mais cette forte ressemblance l’intrigue. Il est déjà prévu qu’Oussa l’accompagne. Arrivant d’Honfleur, Mary s’invite dans cette aventure. Le trio s’envole vers Istanbul, courte halte avant de passer par Izmir et de rejoindre Antioche.
À Oran, le commissaire Kémal Fadil est le chef de la police du quartier de la Marine. Il est assisté par le jeune et efficace Saïd. Il peut aussi compter sur son vieil ami Moss, médecin légiste et séducteur impénitent. Le policier reste proche de sa mère Léla, handicapée en fauteuil mais à l’esprit vif. Kémal est quasiment fiancé à Fatou, future infirmière, d’origine nigériane. Son enquête en cours concerne une série de meurtres insolites par leur mise en scène, semblant correspondre à un rituel étrange. Après le cadavre d’un guérisseur para-religieux analphabète, c’est le corps d’une femme ayant pratiqué la sorcellerie qu’on a retrouvé. On repère un autre cadavre, probablement le premier de la série. Les théories de la psy Mériem sur les djinns et la médecine occulte aident utilement Kémal.
Pendant ce temps, faute de pouvoir rencontrer Abou Hatem, c’est l’ami français d’Oussa qui au rendez-vous fixé à Boris. S’il est endoctriné, il est lucide quant au djihad, résigné sur sa situation. Surtout, il apporte des révélations inattendues à Boris, preuves à l’appui. Lui qui se croyait sans famille, il va de surprises en surprises. C’est en direction d’Oran que se poursuit le périple de Boris, Mary et Oussa. S’ils sont "en règle", ils auront malgré tout la chance d’y faire la connaissance du policier Kémal Fadil…
Les échanges entre Oussa et Mary étaient vifs, mais je notai qu’ils finissaient toujours par une concession, une fois d’un côté, une fois de l’autre. Ça ne m’étonnerait guère qu’ils finissent par s’entendre, ces deux-là. Ils étaient pareils, même s’ils s’efforçaient de faire saillir ce qui les opposait. Mon premier sentiment s’en trouvait démenti – heureusement car je n’avais pas envie de jouer les arbitres […]
L’impression positive que j’avais sur Oussa se confirmait à mesure du temps qu’on passait ensemble. Je ne le croyais pas capable de ce genre d’humour, et je m’en voulais pour ça ; en effet, l’autodérision n’est pas à la portée du premier venu. Je l’avais mis d’emblée dans une case. Préjugés.
Après “Le Français de Roseville” et “Le désert ou la mer”, ce troisième opus confirme la qualité des romans d’Ahmed Tiab. Outre l’intrigue, son regard sur le fonctionnement de la société algérienne permet d’en comprendre les nuances, les contradictions, le fatalisme. Si l’époque islamiste autour de 1990 déstabilisa le pays, la corruption à tous les étages, la contrebande et le commerce parallèle restent très actifs en Algérie. Plus un charlatanisme fort lucratif entre religion et médecine, étonnant alors que les soins sont gratuits dans une large mesure. Observer n’est pas condamner : ces réalités d’hier et d’aujourd’hui nous sont racontées d’une façon plutôt enjouée, bienveillante mais ironique.
Le thème apparaissant en filigrane est totalement d’actualité : le djihadisme qui motive de jeunes égarés à combattre au nom d’une religion. “Les révolutionnaires avaient changé de visage ; ils avaient troqué sexe, drogue et rock and roll contre selfies avec la mort dans le désert moyen-oriental.” Il n’y a assurément pas de raison de légitimer le choix du djihad, issu d’une manipulation bien orchestrée. Contexte de fanatisation kamikaze, qui exclut un retour à la normalité. Quant aux soi-disant "repentis", ils ne trompent personne.
On retrouve dans cette histoire Kémal Fadil et son entourage, héros des précédents titres de l’auteur. Il "situe" avec aisance ces protagonistes, même si l’on a pas lu les romans en question. Mention spéciale à Moss, le légiste. Toute la structure est impeccable, on le remarquera : l’affaire criminelle (à part entière) dont se charge le policier donne l’occasion de souligner cette construction très habile du récit. Le point commun avec tout le reste est bien plus direct qu’on aurait pu le penser. Au centre de l’intrigue, la quête de Boris Sieger – quelque peu dépassé par tous ses aléas, est très convaincante et le rend attachant. Personnages crédibles, péripéties agitées, et aspects sociétaux offrent du caractère aux excellents romans d’Ahmed Tiab. Un auteur qu’il est grand temps de découvrir, si ce n’est pas encore le cas.
Ahmed Tiab : Le désert ou la mer (Éd.L'Aube noire, 2016) - Le blog de Claude LE NOCHER
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Ahmed Tiab : Le Français de Roseville (Éd.L'Aube noire, 2016) - Le blog de Claude LE NOCHER
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