Désormais, ce Jurassien est chef de la petite brigade de gendarmerie à Clairvaux-les-Lacs, assisté par Caro et Serge. Le petit groupe manque cruellement de moyens, se cantonnant à des missions de moindre importance. Mais pour le sous-officier, l’essentiel était de rester dans sa région natale. À l’âge de sept ans, il fut "initié" à l’esprit de la forêt, à son silence. Depuis cette époque, il se montra plutôt distant envers le monde extérieur, circonspect quant au tumulte agitant à présent la société. Par exemple, l’émission de télé racoleuse qui fascine en ce moment les Français, c’est exaspérant pour quelqu’un comme lui. Rien que du spectacle, éloigné des réalités du quotidien. Même les plus mystérieux des meurtres ne captivent plus une population indifférente à ce qui est moins médiatisé.
Pourtant, c’est bien l’œuvre d’un tueur en série, ces massacres auxquels sont confrontés le gendarme jurassien et sa modeste équipe. D’abord, du côté de Saint-Claude, il y eut la famille Sarella, trois victimes. Une affaire à laquelle s’intéressa aussi le journaliste local Thomas Servano, flairant un cas sortant de l’ordinaire. Ce ne sont ni d’éventuels témoins, ni les "autorités compétentes" qui vinrent en aide à cette brigade peu préparée au crime de cette espèce. Le monstre criminel a récidivé en assassinant le famille Fioretti, habitant aussi une maison isolée. Deux carnages visant des gens sans histoire. Quand il recense les dossiers des grands criminels de l’Histoire, hommes et femmes, il s’aperçoit que beaucoup d’entre eux étaient, comme leurs victimes, des personnes plutôt banales en apparence.
Les enquêteurs se demandent si, pour gagner la confiance des victimes, le tueur ne les a pas rassurés en portant un uniforme ? Le troisième massacre se passe vers Mâcon. Abattus avec un fusil, les Lamosse vivaient dans un lotissement, donc pas à l’écart. Sans doute s’agissait-il d’une famille plus instable que les précédentes. Jouant les ados rebelles, la fille Lamosse fréquenta des petits voyous des environs. Il est probable que ces marginaux soient mêlés à des trafics de drogue, ce qui ne signifie nullement que la jeune fille ait été impliquée. L’interpellation de ces frères délinquants et de leur oncle complice vire à la fusillade entre eux et les gendarmes. Non sans causer des victimes. Servano, le journaliste, va lui aussi subir les conséquences de série de meurtres. Le Jurassien finit par découvrir le véritable point commun existant entre ces crimes…
Lorsque je m’assis sur un des bancs installés face au lac, une fois de plus, j’eus l’impression diffuse que cette affaire sanglante affectait la forêt elle-même. Comme si ces meurtres étaient des actes "contre nature", au sens le plus littéral du terme. Je n’aurai pas de mots pour l’exprimer autrement, même si ceux-ci sont bien réducteurs.
Les arbres n’étaient pas encore entièrement dénudés, et une première ligne de hêtres dépenaillés se découpait sur la crête sombre des conifères aux sommets déchiquetés. Le soleil apparaissait souvent entre des nuages échevelés d’un beau gris-bleu, et ses rayons illuminaient les flots tout en créant mille jeux d’ombre et de lumière dont la beauté me saisit les entrailles. Une légère brise ridait le lac, le reconfigurant constamment en mille visages en perpétuel mouvement, où se reflétaient partiellement les caprices des rayons dorés. Un tel décor donnait une idée de ce qu’était le sacré, même à un mécréant comme moi. Devant tant de beauté, on ne bougeait pas, on ne parlait pas, on respirait à peine. On contemplait.
À ce moment de communion, j’aurais dû trouver la paix intérieure. Et pourtant, non. Cette affaire ne me laisserait jamais tranquille, je le savais…
Bien que mal connu, Patrick Eris est un auteur déjà chevronné, capable d’allier la forme, le fond, et l’écriture. Ce roman adopte la forme du scénario à suspense, avec une enquête d’autant moins rectiligne que les gendarmes sont peu aguerris face à ces affaires. Non pas qu’ils soient ignorants des sujets sur les tueurs en série. Mais on ne va pas déplacer le gratin des experts scientifiques citadins jusqu’en pleine Plouquie pour quelques familles exécutées chez elles. Les investigations s’avèrent sinueuses, voire chaotiques. Même si notre héros anonyme n’en voit pas vite le bout, il progresse – et le lecteur avec lui.
À notre époque, et pire encore dans le proche avenir présenté par l’auteur, les médias décident de ce dont il faut parler. On délaisse les faits locaux, l’info sur la vraie vie de la majorité des Français. Ici est abordé le fond de l’histoire, son contexte social. Hypnotisés par des shows, conditionnés par de prétendus spécialistes, entraînés par une démagogie qui sépare de plus en plus les citoyens, le plus sale égoïsme règne en maître. Des crimes dans la cambrousse ? Ça ne retient plus guère l’attention générale. Une émeute ressemble davantage au cinéma, c’est plus excitant. Les crimes en Ploukistan, qui s’en soucie ?
C’est ainsi que le gendarme jurassien cultive logiquement sa misanthropie, se réfugiant dans ses forêts montagneuses quand il n’écoute pas les "Variations Goldberg" de Bach. Un comportement qu’on n’est pas loin d'adopter parfois, quand on observe le monde actuel. Pour faire partager ces états d’âme, ça passe par une écriture exprimant l’intériorité, le "ressenti", sans négliger la fluidité du récit. Jouant autant sur le mystère, l’aspect sociétal, et l’esprit du personnage central, le style harmonieux de Patrick Eris est fort séduisant. Un polar de très belle qualité, qui mérite évidemment un Coup de cœur.
Patrick ERIS : Les arbres, en hiver. - Les Lectures de l'Oncle Paul
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/2016/10/patrick-eris-les-arbres-en-hiver.html
La chronique de l'Oncle Paul sur "Les arbres, en hiver" de Patrick Eris.
L'esprit de la forêt - Chroniques & actualités noires
http://chroniques-noires-gilles-vidal.over-blog.com/2016/10/l-esprit-de-la-foret.html
La chronique de Gilles Vidal sur "Les arbres, en hiver" de Patrick Eris.
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