En 1909, à Paris. Giovanni Riva est issu d’une famille de Napolitains installés à Belleville. S’il a débuté au journal Le Matin dans un poste modeste, on lui offre la chance de devenir le secrétaire de Max Rochefort. Celui-ci est un dandy parisien, auteur de romans-feuilletons à succès. Qui n’a pas lu les aventures trépidantes de son héros, Nocturnax ? Le journal Le Matin le traite tel un prince, tant il fait vendre. Quand il s’entretient avec l’éditeur Fayard, il est surtout question d’argent. Tout à sa vie mondaine, Max Rochefort n’a plus temps de se consacrer à l’écriture. Sa fidèle petite équipe de rédacteurs s’en charge, les directives restant celles de Rochefort. La pratique de la boxe asiatique lui permet de garder la forme, tandis que son employée de maison Marguerite, venue de Lorraine, lui prépare des petits plats. Le jeune Giovanni Riva s’adapte bientôt au mode de vie de ce nouveau mentor.
Tandis que le duo est présent à Enghien, un meurtre sanglant est commis dans leur hôtel. Émissaire du Vatican, le cardinal italien Berdoglio a été martyrisé par ses assassins. Des signes dessinés près du corps font penser à la franc-maçonnerie. S’agit-il de pratiques sexuelles ayant tourné au crime atroce ? Aucun intrus ne paraît être entré à l’hôtel cette nuit-là. Le commissaire Juvard soupçonne une employée de dix-neuf ans, Justine Avril, la dernière qui ait servi le cardinal. Ayant éprouvé un coup de foudre pour elle, Giovanni ne peut croire en la culpabilité de Justine. Pour Max Rochefort, c’est l’occasion de montrer qu’il est aussi bon reporter que son ami le journaliste Gaston Leroux. Peu après, le directeur de la Sûreté se rend sur les lieux. Les relations entre le Vatican et la République laïque sont complexes. Il faut préserver la paix sociale, faire preuve de diplomatie, éviter le moindre scandale.
Par mesure de discrétion, Justine est enfermée à l’hôpital Sainte-Anne. Max Rochefort et Giovanni lui offrent un peu de réconfort, lui promettant de limiter les dangers planant dans ce genre d’asile. Quant à l’en faire sortir, peut-être que le psychologue Alfred Binet pourra les aider le moment venu. De son côte, l’avocat Maître Aubin fera le maximum pour elle, aussi. Giovanni et Rochefort comprennent finalement comment les tueurs ont pu pénétrer chez le cardinal sans laisser de traces. Un soir, le duo échappe de peu à une agression, à la sortie du théâtre du Grand-Guignol. Il est possible que l’occultiste Aleister Crowley en soit l’instigateur. Max Rochefort et Giovanni découvrent le hangar qui servit de base aux comploteurs ayant tué le cardinal. Ça provoque la mort d’un des organisateurs du crime, qu’on finira par identifier : un ancien militaire renégat, mêlé à de sombres affaires.
Les signes dessinés dans la chambre ne sont ni franc-maçons, ni exactement satanistes. On peut les attribuer à une sorte de secte. C’est la piste aéronautique qui intéresse en priorité Giovanni et Rochefort. Le journaliste spécialisé Jérôme Fandorin n’ignore rien de l’expansion de cette industrie chez les voisins allemands, avec lesquels la France n’est pas non plus en bons termes. L’aide de l’aéronaute Louis Paulhan sera fort utile au duo, quand il s’agira d’alpaguer quelques coupables. Même si Max Rochefort et ses amis parviennent à extirper Justine de Sainte-Anne, puis de la prison Saint-Lazare, il est à craindre que cette affaire ne s’arrête pas là. Elle est relancée quand une prostituée syphilitique est victime des mêmes assassins. Connaître le nom du machiavélique cerveau ne suffit pas, car cet illuminé est capable d’avoir organisé un final qu’il espère explosif…
— Êtes-vous en train de nous dire qu’ils pensent être des artistes ?
— Oui, la complexité et la folie de ce crime en font pour eux une œuvre d’art. Le cardinal ou tout autre bourgeois de la belle société, cela leur importait finalement peu. Le premier à se faire monter une collation ce soir-là signait son arrêt de mort. Ils voulaient créer un crime démentiel et d’une envergure inédite […]
— Ce serait tout simplement monstrueux. Qui ferait une chose pareille pour s’en amuser ?
— Nous savons qu’ils sont riches, qu’ils aiment les dirigeables, l’art, qu’ils sont cruels et probablement mégalomanes. C’est ce qui les perdra, car ils vont vouloir recommencer…
Cette histoire rend un superbe hommage au roman-feuilleton d’autrefois, s’inscrivant dans la même tradition. De Gaston Leroux à Maurice Leblanc, en n’oubliant pas Souvestre et Allain, ce sont ces écrivains-là – souvent inspirés par le monde qui les entourait – qui ont donné ses lettres de noblesse à la littérature populaire. D’ailleurs, l’auteur du “Fantôme de l'Opéra” est présent ici. Parmi les allusions le concernant, on notera aussi un “Fatalitas” en référence à Chéri-Bibi.
Le héros de fiction créé par Max Rochefort est, à l’évidence, un double de Fantomas. Le commissaire Juvard et le journaliste Jérôme Fandorin, n’évoquent-ils pas Juve et Fandor qui traquent inlassablement ce diable de Fantomas ? Toutefois, c’est bien dans leur propre univers romanesque, face à un adversaire terriblement cynique, que les deux personnages centraux vont évoluer. Autour d’eux, des célébrités de ce début du 20e siècle, et des protagonistes de toutes sortes offrant de la crédibilité au récit. Citons par exemple l’actrice Eudoxie Lamésange, amante de Max, une de ces demi-mondaines qui animaient les soirées parisiennes d’alors. Elle n’est ni la seule jolie femme, ni la plus exposée dans cette ambiance où plane la menace, où rôde la mort.
L’auteur n’ignore bien sûr pas ce qui faisait le trait premier du roman-feuilleton : relancer l’action en permanence afin d’alimenter le mystère. Pas de place pour les temps morts. Le sentiment du danger doit être constant dans ces intrigues énigmatiques. Même les plus incroyables péripéties sont admises. On n’omet pas d’évoquer le contexte, politique et financier, car c’est une guerre mondiale qui s’annonce, cinq ans plus tard. Le climat ajoute de la tension aux tribulations effrénées de Max le désinvolte et du candide Giovanni. On se laisse volontiers entraîner dans leurs passionnantes aventures, d’autant plus captivantes qu’elles sont racontées avec une belle fluidité.