Le Soviet est un groupe d’anarcho-activistes qui sévit en France au tournant des années 1980-90, tels des Fantomas fin de siècle. Ce collectif démocratique, s’inspirant des anars russes pré-révolutionnaires, utilise des méthodes parfois violentes, ou agit avec plus de subtilité, pour qu’avance leur lutte en vue d’un monde meilleur. Ils observent une certaine éthique, n’oubliant jamais que ce sont les puissants qu’il faut viser, et non pas amener la population à s’entre-déchirer.
Début 1991, ils viennent de spolier Jean-Bruno Pennegret, le leader du Front Français, qui avait organisé une captation d’héritage à son profit. Vieille habitude depuis qu’il a accaparé les biens du défunt cimentier Rambert, dont il occupe la propriété de Cachetout. Quant au projet de construction d’une route menaçant le domaine de ce politicien d’extrême droite, on ne peut exclure que le Soviet y soit mêlé.
La nouvelle grosse opération que préparent les membres du Soviet concerne un immeuble de l’avenue de la Grande Armée, dans le 16e arrondissement de Paris. Pas encore prise dans la tourmente, la société pétrolière Elf effectue des investissements dans l’immobilier. Grâce à l’Afrique, cette entreprise génère beaucoup d’argent, pas toujours propre disent les malveillants. Cette fois, ses dirigeants se font doubler par le Soviet, un habile piratage informatique faisant des anars les propriétaires de ce bâtiment de prestige.
C’est au profit d’associations qu’est combinée l’affaire, afin d’y loger autant de personnes que possible. Trop tard, Elf ne peut rien contre une transaction semblant en bonne et due forme ! Cet immeuble va être baptisé “la république bananière”, tout un symbole. Les adversaires de l’hébergement des réfugiés risquent de s’en étrangler de rage.
Les autorités ne sont nullement passives pendant ce temps. Les limiers-en-chef d’Interpol ont créé le “Fichier mauve” afin de recueillir un maximum d’élément contre le Soviet, d’en traquer les partisans. Ils sont d’autant plus énervés que, dans le nouveau journal publié par le Soviet, de sombres secrets d’Interpol sont révélés. Même s’ils restent sur la brèche, coincer ces anars apparaît quasi-illusoire.
Un policier désenchanté et des journalistes honnêtes adhèrent bientôt au groupe du Soviet. Fasciné par ce mouvement, un solitaire (qu’on surnommera Pampers) est également admis parmi eux, après leur être venu en aide dans une situation dangereuse. L’immeuble du 16e n’est pas le seul qu’ils vont "réquisitionner" : à Lyon, deux autres sont acquis de la même façon détournée. Quant à Pennegret, le chef du Front Français, le Soviet n’a pas fini de lui faire perdre la face, ce qu’il ne verra pas d’un bon œil…
Arrivés sur le palier du cinquième, ils tombent sur une fille aux cheveux d’un roux étourdissant, qui s’arrête en les voyant.
— Ah, vous êtes journalistes ?
Croix-Rouge attend qu’une tripotée d’anges ait fini de passer. Elle se doutait bien que pendant leurs journées portes ouvertes, elle allait tomber sur des rigolos de ce genre. D’ailleurs, elle est là pour ça. Mais elle craint un peu qu’un de ces types n’ait été informé par la police, un jour ou l’autre, au cours d’une autre affaire, et qu’on la reconnaisse. Mais les flics n’ont que son signalement, pas sa photo. Et comme le Soviet n’a pas encore ouvertement déclaré son rôle dans cette histoire de squat, il n’y a aucune raison pour que quelqu’un fasse le rapprochement. Et d’ailleurs, aucun des types ne bronche. Ils sont juste très très branchés sur une aussi jolie fille…
Voici une nouvelle aventure inédite de la série "Le Soviet" qui connut bien des vicissitudes. Avant d’être réédités aux Éditions Goater, les quatre premiers titres parurent chez Fleuve Noir puis chez Série Noire, entre 1985 et 1997. Excellente initiative de les rassembler, et d’y ajouter le cinquième opus, resté dans les archives du duo d’auteurs, Yves Frémion et le défunt Emmanuel Jouanne. Leur pseudonyme se réfère à Buenaventura Durruti, héros républicain de la Guerre d’Espagne, mort en 1936.
Pour peu que l’on préfère le libre arbitre aux dogmatismes politiques, ce roman pétaradant est un régal ! En guise de musique d’accompagnement, la chanson “Ah les salauds” d’Aristide Bruant rythme cette histoire pleine d’un humour plutôt mordant. Que soit ici égratigné le leader d’un parti nationaliste, on ne s’en plaindra pas. On reconnaîtra, sous le nom de Manuel Pétin, gendre de ce politicien, le père officiel d’une héritière de ce bizness familial.
Des clins d’œil, on en trouve bien d’autres. Un certain J.P.Nacray partage le même esprit que les membres du Soviet : allusion aux auteurs du roman “La vie duraille” (Fleuve Noir, 1985), Jean-Bernard Pouy, Daniel Pennac et Patrick Raynal qui signèrent J.B.Nacray. On croise même deux journalistes prénommés Yves et Emmanuel, comme les auteurs.
Si l’on espère un exotique voyage au Congo, on risque de "faire tintin" (selon l’expression consacrée). Par contre, il est toujours utile de rappeler l’ambiguïté des relations entre les lobbies politico-financiers et certains pays africains. La fameuse Affaire Elf, qui éclatera un peu plus tard dans les années 1990, ne dévoilera sûrement qu’une partie de ces colossales magouilles. Ces milliards, à qui ont-ils profité ? Pas uniquement au financement politique, ni à des placements de cette entreprise ? Allez savoir !
Le Soviet entame une récupération de ces profits exorbitants au bénéfice du peuple, une idée à relancer. De l’action et du sourire au programme de cette excitante fiction vraiment très sympathique.
Consultez le site de l'éditeur.