Watertown est une ville du Massachusetts, dans la banlieue de Boston. Tout ici est typique des agglomérations américaines, sans atout particulier. À part peut-être son Grand Hôtel des Congrès datant de 1927. On y trouve un quartier mal famé, les Bellams. C'est à Watertown que s'est achevée la course-poursuite avec les auteurs des attentats du marathon de Boston en avril 2013. Le seul cas où cette ville fit parler d'elle. Marié, père de deux filles, Paul McCarthy est le shérif de Watertown. Sa famille reste son point de repère, même si leur vie est sans fantaisie. Dans son métier, il compte sur ses adjoints, Gomez et les autres, pour l'assister. Ce soir-là, le septuagénaire Jimmy Henderson est assassiné et mutilé en ville, dans son propre pick-up. McCarthy le connaissait depuis longtemps.
Henderson, vieux bonhomme sans histoire ? C'était sans doute moins vrai ces derniers temps. En effet, Laura Henderson, fille de la victime, s'est acoquinée avec Alexander Marshall, un repris de justice. “Ils se sont d'abord associés pour revendre de la came, puis ils ont habité ensemble. Alexander a rapidement eu des vues sur la fille de Laura, Julia.” Quand on sait quel fut le parcours délinquant de Marshall, et si on y ajoute une possible affaire de mœurs autour de la jeune Julia, il apparaît comme le principal suspect du meurtre. Un coupable trop idéal ? Wilde, un flic venu renforcer l'équipe du shérif, estime que Marshall n'a pas le profil dans ce cas. D'autant que le meurtrier n'a rien volé. McCarthy n'est pas si sûr, non plus. La seule piste plausible serait un club de fitness, base d'un trafic de drogue.
Franck dirige en dilettante une agence de détectives new-yorkaise. Il est de passage à Watertown. Franck est un dandy cocaïnomane affichant des opinions anti-conformistes, pouvant surprendre la population d'une telle ville. Installé au Grand Hôtel des Congrès, il s'intéresse bientôt au meurtre de Jimmy Henderson. Ayant intercepté des infos, il se penche sur le dossier d'un ancien acteur de films pornographiques. Celui-ci dirige un club de fitness, où passe de la drogue. Club dont le propriétaire n'est autre que Lance Le Carré, un homme d'affaire que Franck a approché. S'il organise des réceptions mondaines, c'est surtout un puissant caïd mafieux. Il ne faut pas sous-estimer ce genre de personnes…
C'est dans un décor exemplaire de banalité, que l'auteur peut exploiter une intrigue à la tonalité toute personnelle. Il ne mise ni sur une enquête balisée avec une succession de témoignages et d'hypothèses, ni un scénario percutant façon série-télé à l'Américaine avec des flics chevronnés. C'est davantage une suite de rencontres, qui crée l'ambiance. D'un côté, nous avons un policier professionnel et attentif, menant une existence plutôt routinière. De l'autre, c'est une galerie de personnages décalés que nous découvrons. À commencer par le singulier détective Franck, influencé par le sâr Péladan. Il ne correspond pas vraiment à l'image traditionnelle du "privé". “Cette affaire n'est motivée par rien de raisonnable, ni même de passionnel. Je vous l'ai dit : il ne s'agit que de curiosité… Que ferais-je à New York ? Éventrer des poubelles ? Brasser des ordures ménagères ? Non merci ! Il ne s'agit pas d'une "affaire". Considérez cela comme un divertissement, un caprice. Et de la première importance” explique Franck à son assistante.
Flânerie dans les rues de Watertown, éventuels quidams soupçonnables, des pistes qui restent floues. Et pourtant, on a envie de savoir quelle direction prendra cette affaire. On retient aussi quelques portraits, dont ceux du repris de justice et du romancier best-seller. Ou celui de la fille d'Henderson : “Sacrée Linda ! pense [le shérif] McCarthy. Pour être folle, elle n'en est pas moins attachante. Elle peut fulminer, récriminer, se braquer contre la terre entière, elle ne fera jamais de mal à une mouche. Au fond, elle fait ce qu'elle peut.” Quentin Mouron figure parmi les "nouvelles voix" du polar noir, pour le plaisir des amateurs de romans quelque peu hors normes. À découvrir en format poche (dès le 2 juin 2016).