Samuel Fox est âgé de trente-deux ans. Garçon intelligent, bien éduqué (“Maman m'avait apporté sa curiosité ; papa, sa méthodologie, sa logique, son sens de l'ordre, des procédures”), il s'orienta bientôt vers le métier de policier. Sam débuta à la Brigade des Mœurs. Il s'aperçut vite qu'il n'entrait pas dans le moule : les fics n'ont pas assez de temps pour cerner le cas de chacun, voire pour aider les gens. Il garde des contacts, telle son amie Karen qui a des soucis tant personnels que hiérarchiques. Depuis huit ans, Sam est enquêteur pour une société privée, sans doute le meilleur. “Ma spécialité, ce sont les enquêtes sur les malveillances, les actes frauduleux, les personnes à risque…” Les arnaques à l'assurance se multipliant, la traque aux escrocs c'est son sujet : plus de trois cent affaires résolues, beau palmarès. Côté privé, c'est plus compliqué pour Sam.
Depuis l'enfance, il cherche son identité sexuelle. Il est attiré par les femmes, mais autant par les hommes. En réalité, la question est plus intime : Sam se sent plus Samantha que Samuel. Depuis quelques mois, il prépare sa métamorphose. Transformation complète et complexe qui coûte extrêmement cher. Douloureuse aussi, malgré la quantité de médocs non conventionnés qu'il absorbe. Il lui faudra encore un semestre avant d'atteindre son but, devenir femme. Non content de le placardiser, afin de l'éloigner de Paris, son patron Édouard l'envoie en mission dans la cambrousse entre Brive-la-Gaillarde et Souillac. Un bar-restaurant pour routiers faisant motel y a subi ces dernières années de multiples dégradations. Vandalisme stupide avec une part de malchance ou escroquerie répétitive à l'assurance, c'est ce que Sam devra déterminer sur place.
L'accueil est carrément froid de la part de Karl Clash, le patron septuagénaire du miteux établissement. Sam ne s'attendait pas à ce qu'il se montre coopératif. Il constate la trace des dernières dégradations. Dans un coin du parking, Doriane vit là, dans une caravane. C'est une prostituée défraîchie, pas rebutante. Elle a immédiatement compris la "féminité cachée" de Sam. Chaleureuse et dynamique aussi, Doriane s'occupe du service dans le restaurant. Globalement, l'activité n'est guère rentable. Sauf les soirs où Karl propose un repas festif : la faune des routiers est au rendez-vous. Nuit bruyante, peu de sommeil pour Sam qui loge au motel. Un seul autre client, Jean-Claude, formateur en entreprise, dessinateur de nus féminins à ses heures, “un dandy de province” pas antipathique.
Ce n'est pas en s'adressant à la gendarmerie que Sam en apprendra davantage. Le genre d'affaire qu'ils classent sans s'interroger, dans ces brigades rurales. En fonction des éléments à sa disposition, Sam “commence à gratter une première conclusion” : Karl vivote, l'argent de l'assurance lui est utile, ça n'en fait pas un escroc de grande envergure. Toutefois, lorsque l'enquêteur reprend contact avec la policière Karen, le portrait du vieil hôtelier prend une autre tournure. Infos issues des archives, filatures, recoupements… Le dossier ne sera néanmoins pas clos quand Sam termine son rapport…
Il existe diverses manières de raconter une enquête. Imiter le classicisme façon Sherlock Holmes, Maigret, Miss Marple ou Hercule Poirot, ça ne manque pas de charme. La tonalité de certains auteurs s'avère nettement plus fiévreuse. C'est le cas de Jérémy Bouquin, qui écrit furieusement, en quantité et en qualité. Il a produit une dizaine de romans, quelques nouvelles, des scénarios de BD. Un "besoin d'écriture" qui répond probablement à deux critères : un plaisir de construire de solides histoires, et un défi consistant à se démarquer du simple polar. Non pas en développant un thème absolument neuf – ce n'est pas le premier enquêteur traquant une escroquerie à l'assurance. Mais en présentant un récit à la fois d'une réelle vivacité, riche en psychologie, aux ambiances très convaincantes.
Que vaudrait une intrigue criminelle sans un contexte singulier ? Avec un héros ni mâle, ni femelle en guise de narrateur, il eût été facile de verser dans le grivois, de tomber dans la vulgarité, de sombrer dans la caricature sexiste. À l'inverse, le portrait de Sam est finement nuancé. Certes, son comportement heurtera fatalement la bien-pensance des puritains indécrottables. Entre force masculine et sensibilité féminine, c'est peut-être ce qui lui permet de jauger les faits avec équité. Entre autres choses, de comprendre ces routiers ayant besoin de décompresser, ou ce couple improbable végétant dans ce restaurant obsolète. Jérémy Bouquin fait mouche une fois encore, confirmant son talent.
Jérémy Bouquin : À mort le chat ! (Éd.Lajouanie, 2015) Coup de cœur - Le blog de Claude LE NOCHER
Jarring est un lobbyiste quadragénaire carrément speedé. L'argent, il n'en manque pas, claquant de belles sommes pour s'acheter toutes sortes d'excitants, de drogues. Il en a besoin afin que son...