À Los Angeles, l'organisation du boss Fin règne sur quelques “taules”, des crack houses où les junkies viennent se shooter. Âgé de quinze ans, East dirige une bande de guetteurs qui veillent aux accès des taules. Noir du ghetto, il impressionne peu avec ses cinquante kilos. Le boss Fin est son oncle, protecteur à son égard. La situation change après l'intervention surprise des flics visant la taule surveillée par East. D'autant qu'une gamine a été tuée. Si les petits caïds Sidney et Johnny sont furieux, c'est Fin qui décide de la suite. Il confie une mission à East : aller dans le Wisconsin pour supprimer le juge Carver Thompson, témoin-clé d'un futur procès concernant le réseau de Fin. Un périple de trois mille kilomètres dans un monospace anonyme attend East et les trois autres Noirs qui l'accompagnent.
Le petit groupe se compose de Michael Wilson, vingt ans, qui passe pour un étudiant ; du corpulent Walter, dix-sept ans ; et de Ty, âgé de treize ans, le jeune frère d'East, déjà plus expérimenté que lui dans la délinquance, maniant le flingue avec assurance. Vêtus tels des admirateurs des Dodgers, l'équipe de base-ball, le quatuor va disposer de faux papiers d'identité et d'une somme d'argent limitée. La consigne est de passer inaperçus, de ne pas laisser de traces. Les premiers kilomètres défilent, à travers le désert du Nevada. Michael Wilson décide d'une pause à Las Vegas, car il a envie de goûter aux jeux d'argent. C'est sans doute un cador pour faire du bizness à la fac de l'UCLA, mais là il ne tarde pas à provoquer des incidents pouvant compromettre la suite de leur mission.
Après un arrêt sur une aire de repos de l'Utah, le monospace bleu aborde les montagnes du Colorado. Pour East, pur môme du ghetto de L.A., voilà des paysages inédits. Avec son frère Ty, leurs relations restent froides. Elles sont encore plus tendues vis-à-vis de Michael Wilson. Dans le Nebraska, voulant embarquer une fille mineure, il crée un nouvel incident. Le groupe doit se séparer de Michael. C'est dans l'Iowa que le trio restant va réceptionner les flingues commandés pour l'exécution. Un rendez-vous est fixé par téléphone, mais le fournisseur refuse finalement de leur délivrer les armes. Pour résoudre le problème, ils doivent improviser. Ils trouvent d'autres vendeurs, mais cet achat de flingues est coûteux. Ty y remédie bientôt, ce qui plonge le trio dans une certaine euphorie.
Comme dans l'Iowa, il fait diablement froid dans le Wisconsin lorsque les trois citadins de l'Ouest habitués à la chaleur arrivent à destination, près du lac Wilson. Même si du côté de Los Angeles, l'organisation de Fin subit dans le même temps de sérieux revers, aller au bout de leur mission reste l'objectif. Ty reste sans états d'âme. Toutefois, leur véhicule ayant été vandalisé, ils seront contraints de trouver d'autres transports. Quand Ty devient ingérable, East et le gros Walter doivent bientôt se séparer à l'aéroport de Des Moines. Avec cent cinquante-et-un dollars en poche, East continue sa route vers l'Ohio…
Durant une large partie du récit, on s'interroge sur le degré de sympathie que nous inspire East. Il possède une maturité plus avancée que la moyenne des ados de quinze ans, mais il est moins mûr que son jeune frère. Il manque à East le cynisme des vrais durs. Pour autant, il appartient à un "système" criminel, pas seulement à un "milieu" délinquant. On ne peut pas le considérer comme victime, ni même partager une empathie avec lui. Il est logique que, lors de ce voyage vers des États où les Blancs sont majoritaires, le regard sur lui et ses copains Noirs soit extrêmement méfiant. Même entre eux, ces quatre jeunes ne sont d'ailleurs pas "sur la même longueur d'onde". Seul Walter (taille 4XL) se met à la portée d'East, estimant probablement qu'il y a quelque chose d'encore sain en lui.
Si les tribulations d'East et de ses compagnons de route sont empreintes d'un gênant malaise, ce n'est pas un point négatif. Encore faut-il en prendre conscience, se dire que cette aventure restera plutôt sombre. L'auteur présente une galerie de subtils portraits, fort crédibles. Il serait stupide d'utiliser les formules "road-movie" ou "road-story" au sujet de cette histoire d'un ado, qui réalise que le monde ne se limite pas aux boîtes de béton dans lesquelles il vit. Cette étape initiatique de son existence ne dépend que de lui-même, le trajet géographique n'étant qu'une circonstance. Bannissons donc l'idée du "road trip novel", gardons plutôt celle du Destin qui lui offre des choix.
Intrigue criminelle, certes, mais surtout qui induit l'éventualité d'une sortie de la violence urbaine. Ou pas, ce sera à East d'évaluer la suite. Il s'agit là tout simplement d'un très bon roman.
Ron Rash : Le chant de la Tamassee (Éd.Seuil, 2016) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/2016/01/ron-rash-le-chant-de-la-tamassee-ed-seuil-2016.html
Mes chroniques sur 3 autres romans vivement recommandés.
DODGERS de Bill Beverly /Seuil policiers. - Nyctalopes
A nouveau un premier roman qui certainement accrochera beaucoup de lecteurs amateurs de polars ricains et qui en décevra sûrement beaucoup d'autres par le côté particulièrement classique de ...
http://www.nyctalopes.com/dodgers-de-bill-beverly-seuil-policiers/
Chez Nyctalopes, lire aussi la chronique de Wollanup sur ce "Dodgers".