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26 mai 2016 4 26 /05 /mai /2016 04:55

Marc est mécanicien diéséliste, expert en moteurs. Avec sa compagne Stéphanie et leurs enfants, ils vivent chichement dans une maison sans isolation au cœur d'une région froide, de petits boulots au noir, avec les factures qui s'empilent. Lorsque Marc reçoit un appel téléphonique de son ancien patron Jules, c'est la promesse d'une amélioration provisoire. D'une expérience probablement excitante pour Marc, également. Jules a besoin de lui en Guyane, où le mécanicien a vécu quelques temps avec sa famille. Il est bien conscient que Jules n'est pas un type honnête : “Jules était un anthropologue des zones troubles, de la débrouille et de l'illégalité. L'argent le rendait fou, mais les moyens qu'il choisissait pour en gagner disaient plus son goût du jeu qu'un véritable appétit pour la réussite.”

Dans la forêt amazonienne de Guyane, le camp de Kanouri c'est l'espoir d'un nouvel Eldorado, le rêve paradisiaque des orpailleurs. Jules a entrepris de faire convoyer un Caterpillar 215, gros engin de travaux à pelle, jusqu'à ce camp. Un trajet sans la moindre route digne de ce nom, il faut tracer la piste à travers la jungle en avançant lentement. Ce qu'a fait l'ex-légionnaire Joseph, conducteur du Cat 215 qu'il ne ménage pas, avec une équipe de locaux. Jusqu'au moment où le moteur de l'engin est tombé en panne. Depuis, Joseph campe auprès de la machine, armé, s'enivrant et vitupérant. Du Rwanda en 1994 au Tchad en 2002, il fut de tous les sales barouds. “C'est un Blanc guyanais, né ici, grandi avec une rafale de frangins tous plus barjots les uns que les autres, en pleine forêt.”

L'ancien légionnaire chtarbé est de la même génération que Marc, mais leurs parcours n'ont rien en commun. C'est déjà un périple agité que de rejoindre, en pirogue, à pieds et en quad, l'endroit où se trouve le Cat 215. Bien qu'un moteur neuf soit supposément sur le point d'être livré, Marc ne s'attend pas à un accueil chaleureux de la part de ce Joseph. Il accompagné d'un Brésilien nommé Alfonso, bien meilleur chasseur pour leur assurer le ravitaillement. Est-il venu, comme tant d'autres, chercher fortune dans cette contrée plus qu'hostile ? Ou, ainsi que le prétend l'ancien légionnaire, Alfonso a-t-il un passé à cacher ? Plus vite sa mission sera terminée, mieux cela vaudra, Marc ne l'ignore pas. Surtout quand cet ivrogne braillard de Joseph glisse vers la paranoïa…

Antonin Varenne : Cat 215 (La Manufacture de Livres, 2016)

Les tribulations exotiques ou tropicales participent depuis fort longtemps à une tradition du roman d'aventures. L'enfer vert de l'Amérique latine ne peut qu'inspirer les auteurs. Par exemple, “Le salaire de la peur” (1950) de Georges Arnaud, “Piraña Matador” (1991) de Jean-Hugues Oppel, ou “La rascasse avant la bouillabaisse” (2015) de Gilles del Pappas, pour ne citer que ceux-là. Même si l'on n'a jamais mis les pieds dans la jungle guyanaise, on n'a pas de difficulté à imaginer le décor, la végétation luxuriante, invasive. Ni le climat, d'une moiteur oppressante. Si un Caterpillar 215 est un engin impressionnant sur un chantier, “plantée au milieu de la forêt, la machine est imposante quand nous nous tenons à côté, ridicule face à ce qui l'entoure.”

Bordée par le Surinam et le Brésil, la Guyane attire la convoitise de toutes catégories de trafiquants et autres chercheurs d'or. Ces derniers ne risquent guère de s'enrichir, leur cycle étant celui des perdants : “Au camp de Kanouri, [les prostituées] récoltent un quart du salaire des clandestins. Un autre quart part en alcool. Des kilos d'or redescendent le fleuve dans les poches des prostituées. En bas, les flics de Regina prélèvent leur taxe. Sur les berges, des truands tendent des embuscades, tuent les orpailleurs au fusil mitrailleur.”

Dans un tel contexte, où la seule loi qui s'applique est celle du plus fort, il n'est pas impossible que l'on croise encore de nos jours des personnages extrêmes. Car “insolites” serait un qualificatif insuffisant pour évoquer le légionnaire Joseph, Alfonso le Brésilien, ou même l'escroc Jules. C'est sous forme de novela, roman court, qu'Antonin Varenne nous raconte cette histoire. Un format qui convient à la densité du récit, offrant une ambiance convaincante et palpitante.

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