Quand on utilise l'expression "culture polar", c'est une manière de souligner que cette littérature à succès possède de longue date son histoire. À partir des débuts du 20e siècle, les éditeurs lancent des collections populaires, avec plus ou moins de réussite. Après la 2e Guerre Mondiale, la demande est bien plus forte, pour des romans français ou étrangers ménageant du suspense, qu'il s'agisse d'espionnage ou de policiers. Chez Gallimard, la Série Noire nait durant l’été 1945, à l'initiative de Marcel Duhamel. Il la dirigera durant trente-trois ans (1945-1977). Trois autres mousquetaires du roman noir vont lui succéder : Robert Soulat (1977-1990), Patrick Raynal (1990-2005), Aurélien Masson (depuis 2005). Les impératifs de l'édition ont changé entre-temps : on est passé du petit au grand format, et les parutions sont moins nombreuses. Mais l'esprit du roman noir a été préservé depuis soixante-dix ans. La Série Noire est donc toujours pleine de vie… et de crimes.
À l'occasion de cet anniversaire paraît un ouvrage dédié à cette collection : “C'est l'histoire de la Série Noire (1945-2015)”. Édition publiée sous la direction d'Alban Cerisier et Franck Lhomeau, avec la collaboration d'Aurelien Masson, Claude Mesplède, Patrick Raynal, et Benoît Tadié. Avant-propos d'Antoine Gallimard.
« Ami de longue date de Jacques Prévert et de Raymond Queneau, féru de littérature américaine, Marcel Duhamel s’est entièrement voué à cette passionnante et frénétique entreprise éditoriale, commencée modestement avant de devenir l’une des collections phares de la NRF. Bon marché et largement diffusée, la Série Noire a été accueillie à bras ouverts par les lecteurs français de l’après-guerre fascinés par l’Amérique, scène mythique de ces romans noirs rugueux et haletants, hérités des pulps et puissamment relayés par le cinéma. "C’est Duhamel qui a créé le genre avec sa Série Noire, a pourtant écrit Manchette. Duhamel a inventé la grande littérature morale de notre époque. Il faisait semblant de ne pas le savoir." L’homme, professionnel tenace, n’était pas dogmatique ; sa collection ne l’a pas été plus que lui, trouvant, de son vivant comme à sa suite, les moyens de se réinventer ou de se réajuster, sans piétiner l’héritage. Jamais un album n’avait été consacré à l’histoire éditoriale, commerciale et littéraire de cette collection emblématique, riche de quelque trois mille titres. L’anniversaire de ses soixante-dix ans offre l’occasion d’y remédier, en retraçant un parcours rythmé par la succession de quatre directeurs et par les métamorphoses d’un genre, porté par plusieurs générations d’auteurs – anglo-saxons, français puis du monde entier –, tous porteurs d’une certaine conscience de notre temps. Trois cents documents, issus notamment des archives de la maison Gallimard, viennent ainsi illustrer des contributions inédites sur l’histoire de la Série Noire, d’hier à aujourd’hui » nous dit la présentation de ce livre.
Exemple, parmi les documents, se trouve la fiche de lecture du "Grand sommeil" de Raymond Chandler, rédigée par Raymond Queneau : "Roman de policier plutôt que roman-policier" écrit-il. "Ne brille pas par l'ingéniosité de l'intrigue, ni la profondeur du mystère". Néanmoins, "Le grand sommeil", traduit de l'anglais par Boris Vian, paraîtra dans la Série Noire en 1948. Bien d'autres documents et anecdotes sont là pour mieux faire connaître l'univers de cette collection mythique. Franck Lhomeau et Claude Mesplède, grands spécialistes du roman noir, ayant contribué à ce livre, c'est encore une sacrée référence. À la fin de l'ouvrage, on retrouvera tous les titres de la collection depuis 1945.
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