En novembre 2003, dans un hôtel du quartier de la gare de Nancy, l'Ordre des Filles de la Charité de Saint-Lazare se réunit pour un congrès international. Deux religieuses âgées, sor Lucía de Fatima et sor María del Carmen, sont assassinées dans leur chambre. Près d'elles dans leurs lits, se trouvent des poupées de chiffon sans visage. Les victimes avaient exercé des professions médicales, possédaient des caractères très déplaisants, affichaient une rigoureuse piété. Ces nonnes étaient sous la responsabilité du père Eduardo Carril, de Madrid. La symbolique des poupées décapitées n'échappe pas au commissaire Ney, chargé du dossier. Quant à la strangulation, difficile de définir avec quel objet. Ont-elles été garrottées, comme jadis les condamnés à mort espagnols ?
Il s'avère que la señorita Angustias Amate Mora, dame de compagnie quadragénaire des deux religieuses, a eu une enfance chaotique et reste de tempérament rebelle. Malgré l'intervention du père Carril, elle est interrogée par le commissaire Ney. La señorita Amate n'était pas réellement orpheline : elle avait un lien familial proche avec sor Lucía. Elle évoque la cruauté des gens qui l'élevèrent, et confirme la dureté des deux victimes, avant de passer brusquement aux aveux. Pour les policiers, le mode opératoire suggère plutôt d'autres possibilités. D'autant que la version de la señorita Amate est bancale, fort peu crédible. Complice ou pas d'un tueur, elle ne souhaite pas retourner en Espagne. La suite montrera sa dramatique détermination.
Selon l'ami psy du policier Ney, l'assassin a vécu enfant des situations qui l'ont privé de son identité, et ont continué de le déstabiliser. Il a supprimé les deux nonnes “non pour se venger mais pour rendre justice… Il agit de son propre chef, mais il a conscience d'être le bras armé d'une multitude d'autres victimes.” Enquêtant sur divers clients de l'hôtel, les policiers soulignent le nom d'un mystérieux Jésus Vargas. Le consulat d'Espagne fait pression afin de contrecarrer la poursuite des investigations dans leur pays. Le père Carril n'y est pas pour rien, bien sûr. Néanmoins, Ney se rend bientôt à Madrid. Les CV complets des deux religieuses indiquent qu'elle furent, plus jeunes, de pures franquistes.
De leur monastère d'origine à la maison de retraite où elles vivaient, le policier français finit par trouver une trace : elles eurent un lien direct avec la prison de Carabanchel après-guerre, haut-lieu de la répression des opposants. La Guardia Civil cherche à freiner l'enquête de Ney : le colonel Ramón Muños Iribarne est adepte des méthodes brutales du passé. Si l'ambassade du France le sort du pétrin, le policier est prié de prendre le premier avion pour rentrer chez lui. Grâce à ses collègues locaux, le commissaire Somodevilla et le jeune policier Garcia, il parvient à continuer ses recherches. Même si ça indispose certains réseaux datant de la dictature, protégeant toujours des responsables…
Voici une intrigue qui répond parfaitement à la définition du roman noir, au cœur d'une réalité sociale et historique. Si l'enquête finit par déterminer qui est l'assassin, on n'est nullement dans un roman d'énigme avec son côté ludique. Le contexte prime, sans que le scénario soit alourdi. Au contraire, car l'auteur maîtrise l'univers du commissaire Ney, qui a déjà été le héros de plusieurs de ses livres (L'énigme de la rue des Brice, A quoi rêvent les chats lorsque le printemps tarde, Le meilleur d'entre nous). Ce qui offre une narration souple au récit. Un atout majeur : on entre rapidement dans le vif du sujet, autant pour l'aspect policier que pour la toile de fond, les sombres heures de l'Espagne.
L'auteur le précise : “Le cadre dans lequel s'inscrit cette enquête est totalement véridique et fait l'objet, depuis seulement une quinzaine d'années, de recherches à la fois d'historiens et de juristes. Les faits sont avérés, documentés, mais prescrits au terme de la loi d'amnistie de 1977… Quarante ans après la mort de Franco, des fonctionnaires ayant participé à la dictature sont toujours présents au plus haut de l’État espagnol...” Hélas, ce ne sont ni des fantasmes ni des rumeurs, la cruauté des plus impitoyables franquistes fut bien réelle contre leurs opposants et leurs proches. Peut-être certaines rancœurs sont-elles encore ardentes chez les victimes de ce régime dictatorial. C'est avec harmonie que ce roman noir de Diego Arrabal mêle polar et Histoire : le résultat est passionnant.
Collectif : Franco la muerte (Éditions Arcane 17, 2015) - Le blog de Claude LE NOCHER
Le 20 novembre 1975, l'Espagne perdait son chef absolu, " Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios ". Les caciques franquistes ne risquaient rien, car le défunt avait
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